Rapport « Accueillir et scolariser les enfants en situation de handicap, de la naissance à 6 ans et accompagner leur famille » – adopté le 5 juillet 2018
Rapport transversal « Disposer de temps et de droits pour s’occuper de ses enfants, de sa famille et de ses proches en perte d’autonomie » – adopté le 12 décembre 2017
Rapport transversal « Disposer de temps et de droits pour s’occuper de ses enfants, de sa famille et de ses proches en perte d’autonomie » – adopté le 12 décembre 2017
Rapport transversal « Disposer de temps et de droits pour s’occuper de ses enfants, de sa famille et de ses proches en perte d’autonomie » – adopté le 12 décembre 2017
Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en économie, gestion, sociologie, science politique, philosophie, droit, géographie, démographie, anthropologie, ainsi qu’aux acteurs du champ sanitaire et médico-social.
Les articles sont attendus avant le lundi 6 septembre 2021
Introduction
À la suite d’un premier numéro de la RFAS consacré à l’économie collaborative et à la protection sociale (numéro 2/2018), un séminaire a été organisé par la DREES (Mission recherche) et la DARES (Mission animation de la recherche) en 2017-2018 afin de faire un état des lieux des travaux existants et des questions soulevées. Ce séminaire a notamment montré la diversité des formes que prend l’économie collaborative et l’émergence de nouvelles formes d’emploi et de travail qui affectent l’accès à la protection sociale des travailleurs de cette économie (Nirello, 2017). Dans ce contexte, la DREES et la DARES ont lancé un programme de recherche, toujours en cours, pour investiguer les enjeux autour de ces questions. Il a semblé ainsi pertinent de proposer un nouvel appel à contribution de la RFAS sur le thème des « Formes d’économie collaborative et protection sociale » afin de mesurer l’avancée des connaissances et réflexions. Un autre appel à contributions, de la revue Travail et Emploi, sera lancé avant la fin de l’année 2021. Il sera axé plus spécifiquement sur les enjeux liés à la diversité des modèles économiques et leurs impacts directs sur les formes d’activité, les rémunérations et les conditions de travail des travailleurs de l’économie collaborative.
Le développement de l’économie collaborative et l’expansion des technologies numériques sur lesquelles cette économie s’appuie, ont conduit à des changements de pratiques de consommation, de production et même de financement des biens et des services. Il n’existe pas de consensus sur le périmètre de l’économie collaborative. Rachel Bostman (2013) qui la définit comme un système économique permettant la mise en relation directe entre offreurs et demandeurs, souligne le fait qu’elle recouvre des acteurs très disparates. Ainsi, l’utilisation du terme même d’économie collaborative est de plus en plus critiquée notamment en raison du poids important de plateformes très lucratives (Dujarier 2018). Dans cet appel à contributions, nous souhaitons insister plus particulièrement sur la notion d’intermédiaires et nous prenons en compte les différentes formes juridiques qu’ils peuvent prendre. Ainsi, les plateformes numériques commerciales font partie du champ de l’appel mais aussi d’autres types d’organisations comme les espaces de travail partagés, les coopératives d’activités et d’emploi ou encore les structures de portage salarial. Si le sujet a fait l’objet de nombreux rapports publics que ce soit par l’inspection générale des affaires sociales (Amar, Viossat, 2016), par le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS, 2016) ou plus récemment par la commission des affaires sociales du Sénat (2020), les recherches en sciences sociales n’en sont qu’à leur début.
L’économie collaborative présente de nouveaux défis pour les pouvoirs publics et les acteurs privés, notamment au regard de la protection sociale des travailleurs de cette nouvelle forme d’économie. Le brouillage des frontières entre travail et non–travail, indépendance et salariat, travail amateur et professionnel, a des impacts majeurs sur les formes d’emploi et les formes de solidarité. Si l’ampleur future des transformations et le poids de l’économie collaborative ne sont pas encore connus, ces nouvelles formes d’activité soulèvent des interrogations pour le système de protection sociale. Nous prenons ici en compte une définition large de la protection sociale couvrant l’ensemble des mécanismes permettant de protéger les individus face aux risques sociaux (sécurité sociale, protection sociale complémentaire, assurance chômage, aides sociales, etc.). C’est sur cet aspect, dans une perspective pluridisciplinaire, que s’inscrit le présent numéro.
Cet appel à contribution est construit autour de trois axes. Le premier vise à susciter des réflexions sur l’impact de la qualification des travailleurs de l’économie collaborative et de leurs revenus sur le fonctionnement de la protection sociale (droits et modalités de couverture, financement, accès, etc.). Le deuxième appelle des articles sur la perception des travailleurs de l’économie collaborative, et la manière dont ils articulent leurs besoins de sécurité avec la protection sociale instituée et les formes de solidarité correspondantes. Enfin, le dernier axe invite à proposer des travaux sur les régulations en cours tant du point des acteurs publics que des acteurs de l’économie collaborative eux-mêmes.
Axe 1 : L’impact de la qualification des travailleurs de l’économie collaborative et de leurs revenus sur la protection sociale
La généralisation du salariat a pu apparaître comme un mouvement de fond organisant la mobilisation de la main-d’œuvre, l’extension de la protection sociale, au cours du XXème siècle, s’est largement faite en référence au modèle salarié. Mais deux phénomènes sont venus complexifiés ces liens. Le premier correspond à la remise remis en cause de la relation salariale traditionnelle du fait du (re)développement de formes d’emplois marquées par une plus grande flexibilité. Le second renvoie aux transformations des règles de la protection sociale elle-même. En effet, au fil des réformes de la sécurité sociale, sa vocation universelle (article L. 111-1 et suivants du Code de la sécurité sociale) a largement été mise en avant. De même le rôle accru des contributions socio-fiscales par rapport à la cotisation sociale ou encore apparition d’allocations dites non contributives et visant à atteindre un revenu minimal (à l’image de la prime d’activité) modifient en profondeur la définition et l’accès à la protection sociale. Ces deux évolutions ont un impact particulièrement flagrant dans le champ de l‘économie collaborative. Elles questionnent non seulement la façon dont les institutions de la protection sociale appréhendent les travailleurs et le droit qui leur est appliqué mais également les voies et moyens d’une protection sociale appropriée au travail collaboratif et permettant l’effectivité des droits accordés.
1.1 Nouveaux statuts issus de l’économie collaborative et accès à la protection sociale : la question du régime d’affiliation demeure ouverte
Pour un système de protection sociale d’abord construit en référence et pour le monde salarié (Castel, Haroche, 2005), l’irruption des multiples formes d’économie collaborative constitue un défi majeur d’abord pour « simplement » qualifier ce que sont les travailleurs. On assiste, en effet, à une grande diversité des situations professionnelles des travailleurs de l’économie collaborative : travailleurs indépendants dépendants économiquement[1], bénévoles, salariés sous divers contrats, amateurs, etc. Ces formes s’inscrivent dans des transformations plus anciennes du marché du travail et des modèles d’organisation répondant à une plus grande flexibilité. Le salariat est déstabilisé à la fois par la précarisation progressive des formes d’emplois (temps partiel, CDD, pluri-employeurs, etc.) et par le développement d’autres statuts d’activité (franchise, sous-traitance, intermittence, indépendance). On assiste à l’expansion de « zones grises » entre les deux statuts traditionnels/cardinaux de salarié et d’indépendant (Chauchard, 2017).
Si la description et l’analyse de ces nouvelles formes d’emploi relèvent prioritairement de l’appel à contribution de la revue Travail et Emploi, nous nous intéressons ici à l’impact de ces transformations sur la protection sociale. En effet, les difficultés à qualifier la nature de la relation d’emploi pose la question du type de couverture sociale dont peuvent bénéficier ces travailleurs. Ainsi la question de la protection sociale des travailleurs de l’économie collaborative semble encore questionner la qualification de leur statut. En effet, si une grande partie de la couverture des risques sociaux se rapproche désormais d’une logique universelle (santé et famille notamment), non seulement certains risques (perte de revenus et accidents du travail typiquement) mais également la façon dont ces risques sont couverts continuent de dépendre fortement du régime d’affiliation (Gauron, 2018).
Viossat (2019) dessine ainsi plusieurs voies possibles d’évolution. Si l’instauration d’un principe de neutralité de la protection sociale par rapport au statut des travailleurs est perçue comme consensuel, sa mise en œuvre complète se heurte à des difficultés de financements et de différences en termes de perceptions subjectives des différents revenus (notamment vis-à-vis des cotisations patronales). Les autres voies envisagées illustrent l’existence d’ambiguïtés encore majeures. La requalification de ces travailleurs en salariés est poussée par des revendications syndicales et reçoit un écho certain au niveau juridique tant au niveau européen que national mais est souvent en contradiction avec le modèle économique des plateformes numériques. L’élargissement de la définition du statut de salarié notamment autour d’un éventuel statut hybride « d’indépendant économiquement dépendant » est soulevé. Ce qui répondrait au passage progressif d’une subordination juridique à une subordination économique pouvant revêtir des modalités plus ou moins strictes. Le développement de situations où le travailleur est juridiquement indépendant mais relève d’un seul donneur d’ordres ou d’un seul intermédiaire apparaît ainsi comme largement favorisé par l’économie collaborative, à l’image du rôle joué par de nombreuses plateformes numériques de mise en relation. Enfin des mécanismes reposant sur des formes d’engagements volontaires tant des travailleurs (assurances facultatives) que des plateformes (engagement dans une logique de responsabilité sociale) peuvent également apparaitre comme des tentatives de concilier des intérêts divergents.
L’émergence de ces « zones grises » crée des situations où les individus demeurent mal ou non couverts pour tout ou partie de la protection sociale. Comment le droit social s’adapte-t-il ? Favorise-t-il l’élaboration de nouvelles catégories intermédiaires entre indépendance et salariat ? Quelles en sont les caractéristiques principales ? Quelles situations restent non-couvertes ? Cette question, loin d’être propre à la France, concerne l’ensemble des pays européens (Pedersini, 2002) mais également le Canada (d’Amours, 2006) ou le Brésil (Mondon-Navazo, 2017), parmi d’autres exemples. Ainsi, les critères mobilisés pour définir le statut de salarié ont-ils pu légèrement évoluer selon les pays (inflexion des critères retenus mais également recours à la présomption de statut salarial pour certaines activités) tandis que certains pays (Italie, Espagne Allemagne) ont cherché à créer de nouvelles catégories juridiques afin d’étendre certaines des protections théoriquement réservées aux salariés aux « travailleurs indépendants économiquement dépendants ». Les expériences étrangères, en cette matière, pourraient éclairer des évolutions possibles.
1.2 Du statut à l’effectivité des droits : les voies et moyens d’une protection sociale appropriée au travail collaboratif
De même, pour les institutions en charge de la protection sociale, les ambigüités liées à la qualification des travailleurs renvoient à des difficultés très concrètes de repérage et de dénombrement des éventuels bénéficiaires de certains droits. Elles impliquent ainsi de poser un regard nouveau sur la notion de non-recours, notamment dès lors que la qualification d’une situation devient délicate pour l’éventuel bénéficiaire lui-même. L’existence de situations juridiquement ambiguës peut également impliquer de nouvelles stratégies individuelles dans l’accès ou non à certaines formes de protection sociale.
Parallèlement, si la protection sociale française repose encore largement sur le statut de salarié et le droit social qui s’y rattache, les zones grises qui se développent rendent d’autres formes de régulation (droit commercial et droit fiscal notamment) de plus en plus déterminants. En effet, la protection sociale associée au statut de salarié peut apparaître comme un modèle appelé à s’étendre à d’autres formes d’emploi mais cette extension n’est pas sans poser des problèmes à la fois conceptuels et empiriques : comment par exemple couvrir le risque de chômage de travailleurs non subordonnés ? Quelle place accorder au patrimoine professionnel dans la constitution des droits à pension de retraite ?, etc. De même, les incitations à la prévoyance individuelle, notamment en matière de retraite, passent en grande partie par une fiscalité qui se répercute sur la protection sociale de manière de plus en plus forte.
Les difficultés de qualification de la relation de travail rejaillissent inévitablement sur la façon dont les revenus doivent être pris en compte. La remise en cause du rapport salarial traditionnel, où les parties sont clairement identifiées, perturbe à la fois le mode de financement de la protection sociale et les modalités de couverture des risques sociaux auxquels sont confrontés les individus. Les ambiguïtés, qui caractérisent une relation de travail empruntant à la fois au salariat et à la relation commerciale (voire à des formes de bénévolat ou d’activités complémentaires au statut encore plus flou), favorisent ainsi une tendance plus profonde consistant à basculer les bases du financement de la protection sociale des cotisations salariales et patronales vers une logique fiscale. Les revenus perçus sont-ils des salaires et doivent-ils être, à ce titre, soumis aux mêmes types de prélèvements obligatoires ?
Plus encore, du côté des droits ouverts, ces « zones grises » ouvrent de nombreuses difficultés. L’assurance chômage implique en effet initialement la couverture des seuls salariés tandis que les non-salariés sont largement renvoyés à une gestion individuelle des risques de pertes de revenus auxquels ils sont soumis. C’est, en arrière-plan, la distinction entre un risque social (celui que connait un travailleur subordonné) et un risque économique (que choisit un entrepreneur indépendant), qui avait limité les bénéfices de la protection sociale aux seuls salariés. Mais la transformation radicale du non salariat, nourrie en partie par l’économie collaborative, remet en cause cette frontière et ouvre le débat sur la mise en place d’un régime universel d’indemnisation du chômage. Mais comment alors différencier les risques sociaux des aléas économiques ? Quels critères retenir pour ouvrir le droit à l’indemnisation pour des indépendants ? Quels niveaux de contributions et de prestations peuvent être envisagés ? La crise sanitaire et la nécessité de « couvrir » les revenus des travailleurs indépendants ont également renforcé l’acuité de ces questions.
Ces débats sont d’autant plus importants que les revenus salariaux eux-mêmes voient leur nature remise en question. En effet, l’importance prise par la prime d’activité (environ 4,2 millions de bénéficiaires en 2020) illustre une modification drastique de ce qui relève du « salaire » et de ce qui relève de la « prestation sociale ». La « contribution productive » de nombreux travailleurs semble insuffisante pour assurer le niveau de vie que la société juge décent. Comment alors caractériser ces nouvelles formes de travail et la nature des revenus qu’elles procurent ? À quelles règles de prélèvement peuvent-ils ou doivent-ils être soumis ? Jusqu’où sont-ils susceptibles d’être « couverts » par la protection sociale ? Un salaire, par définition attaché à une personne, peut-il se combiner durablement à un complément familialisé de revenu professionnel socialisé ?
Axe 2 : Perceptions individuelles de la solidarité et usages des travailleurs
Le profil des travailleurs de l’économie collaborative est varié, tout comme leurs rapports au travail, à l’emploi et à la protection sociale. Il s’agit dans cet axe de questionner les usages et les pratiques des acteurs, en s’intéressant plus particulièrement à leurs attentes individuelles en termes de solidarité et à la manière dont ils les articulent avec la protection sociale existante.
2.1 Besoins et représentations de la solidarité
Les besoins en solidarité et la perception que les travailleurs ont de la protection sociale dépendent de leurs parcours. Ainsi, les recherches sur les travailleurs indépendants ont, par exemple, montré comment pour certains d’entre eux, notamment les travailleurs qualifiés dans les coopératives d’activité et d’emploi (CAE), l’autonomie, le choix de l’environnement de travail et du temps de travail étaient primordiaux. La solidarité mise en avant est alors une solidarité interprofessionnelle proche pouvant cependant reposer sur du capital existant ou du soutien familial (Corsani et Bureau, 2014). Dans d’autres cas, notamment pour les auto-entrepreneurs, l’objectif est souvent d’essayer de combiner allocations chômage et revenus : « Les auto-entrepreneurs visent ainsi à s’assurer eux-mêmes contre le risque de chômage, loin des structures collectives de garantie liées à la sécurité sociale » (Abdelnour 2014). Même si ces deux exemples sont très différents, un éloignement de la protection sociale instituée est perceptible. Bruno (2014, p.49) rappelle d’ailleurs que la protection sociale des indépendants a été fondée sur la « propriété ou sur des formes d’assurance volontaire, privilégiant les regroupements mutualistes à base professionnelle ».
La perception que les travailleurs indépendants ont de la protection sociale est marquée par cette origine, même si un rapprochement progressif est en cours avec les perceptions des salariés (Papuchon 2016). Le rapport à la protection sociale dépend alors des trajectoires passées (expériences des aléas économiques), de la connaissance des droits sociaux (adhésion aux principes, besoins des prestations), mais aussi de la place de l’activité dans le cadre de l’économie collaborative dans les revenus globaux (activité principale, complément de revenus, etc.). Ainsi, plusieurs questions peuvent être soulevées. Quels sont les impacts du parcours des travailleurs sur la perception de la protection sociale ? Comment sont effectués les arbitrages entre risque/sécurité, autonomie/dépendance, gains immédiats/gains futurs ? Sur ces questions, des contributions sont aussi attendus sur l’impact de la crise du COVID sur les besoins en protection sociale, dans un contexte d’incertitude forte pour les indépendants.
2.2 Les usages des travailleurs de l’économie collaborative
Face aux limites de la protection sociale pour couvrir leur situation souvent incertaine et variée, les travailleurs de l’économie collaborative procèdent à des « bricolages » avec le système de protection sociale existant, les protections offertes par les plateformes et les ressources personnelles (revenu du conjoint, épargne personnelle, etc.). Quelles sont les stratégies mises en place par les travailleurs collaboratifs pour obtenir une protection sociale malgré une discontinuité des revenus et une multiplicité de statuts ? Quelle est la capacité contributive de ces travailleurs ?
Les travailleurs peuvent tout d’abord réaliser un « bricolage institutionnel », en se reposant, par exemple, sur d’autres sources de revenu via d’autres emplois. Sur cette question, il est donc pertinent de comprendre la part de revenus tirée de l’activité au sein de l’économie collaborative et les cumuls éventuels avec d’autres activités. Un cumul est également possible avec des prestations sociales (allocations chômage, minima sociaux, prime d’activité, par exemple). Quelles sont alors les articulations réellement pratiquées avec les différentes composantes du système de protection sociale (prévoyance individuelle, assurance interprofessionnelle, assistance, etc.) ? Les caractéristiques socio-démographiques des travailleurs (le statut d’étudiant, l’âge ou la situation familiale par exemple) sont-elles plus déterminantes que les caractéristiques de la relation de travail elle-même ? Des analyses portant sur la mobilisation des droits portatifs (à l’instar du compte personnel d’activité – CPA) récemment mis en place sont aussi les bienvenues. Certaines plateformes proposent des avantages comme la protection contre les accidents du travail, ou encore une complémentaire santé, il est alors ici pertinent de savoir si les travailleurs ont connaissance de ces possibilités et qui les mobilisent. De la même manière, il est intéressant d’interroger la situation des travailleurs se trouvant dans des plateformes plus « alternatives », du type coopératives d’activité et d’emploi (CAE) par exemple, pour comprendre si cela modifie leur rapport à la protection sociale. Les individus mobilisent également des ressources autres que les ressources institutionnelles. Certains se reposent sur le revenu du conjoint, mais aussi sur l’extension de certains droits à l’ensemble du foyer. Enfin, la question de l’épargne personnelle est aussi importante pour saisir les stratégies des acteurs. Ici, plusieurs enjeux peuvent être soulignés. Quelles connaissances les travailleurs ont-ils de leurs droits ? Certains travaux ont souligné l’importance du non-recours aux droits sociaux (Warin, 2017), et les modes de fonctionnement de l’économie collaborative sont susceptibles de favoriser ce phénomène. La revendication d’autonomie des travailleurs conduit-elle à des mouvements volontaires de non-recours à la protection sociale ? Les conditions matérielles et juridiques dans lesquelles ils sont placés complexifient-elles la demande d’accès aux droits sociaux au point de les décourager ?
Axe 3 : Nouvelles régulations et pistes de transformations de la protection sociale
Les deux axes précédents illustrent les enjeux auxquels doit faire face la protection sociale pour couvrir les activités des travailleurs et répondre à leurs attentes. La crise du COVID, au cours de laquelle la fragilité des activités indépendantes a été particulièrement importante, a pu relancer les débats sur l’adaptation de la protection sociale, l’intervention de l’État et des collectivités locales. Dans cet axe, on s’intéresse alors aux potentielles évolutions de la protection sociale, aux pistes de réformes, et aux reconfigurations des relations entre acteurs publics (État, partenaires sociaux, collectives publiques) mais aussi acteurs privés marchands et non-marchands.
3.1 Vers une refonte de la protection sociale ?
La protection sociale a évolué progressivement avec une modification du mode de financement (rôle accru de l’impôt), de la couverture des risques (extension de certains droits à l’ensemble des individus comme avec la protection maladie universelle), de la nature des prestations ou encore du système d’acteurs. La question est alors de comprendre plus généralement, notamment pour les plateformes, si la régulation doit être rattachée à des normes existantes par adaptation progressive aux pratiques des acteurs ou impliquer, au contraire, la création de nouvelles normes. Plusieurs réflexions sont en cours telles que l’élargissement des allocations chômage à l’ensemble des actifs ou encore la création d’un revenu universel d’activité. Des articles portant sur ces débats peuvent s’insérer dans cet appel à contribution.
Une des thématiques concerne les évolutions du périmètre du droit social et du droit du travail. Un premier débat porte sur la création de statuts intermédiaires entre le salariat et l’indépendance (voir axe 1). D’autres propositions évoquent l’extension du salariat avec, par exemple, la notion de « salariés autonomes » soutenue par le groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT), pour étendre le droit du travail (Dockés, 2017).
Plus généralement, l’essor de l’économie collaborative réinterroge l’articulation entre protection sociale et emploi. Les débats déjà évoqués précédemment sur l’universalisation progressive de certains droits illustrent bien cet enjeu. La montée en puissance des droits attachés à la personne comme l’évolution des protections liées au travail indépendant, à la micro-entreprise ou encore à l’entrepreneuriat suggère ainsi de s’interroger sur les voies et moyens d’une protection sociale appropriée au travail collaboratif, indépendamment de la qualification de la relation de travail Pour aller plus loin, la question du rattachement des droits sociaux à la personne et non au statut peut être au cœur des propositions d’articles. Nous pouvons alors penser aux travaux d’Alain Supiot (1999) sur les droits de tirages sociaux, mais aussi à l’ensemble des projets d’universalisation de la protection sociale ou encore sur les droits portatifs comme le CPA. Sur une partie de ces éléments, des articles ont été publiés dans un précédent numéro de la RFAS (2018). Derrière cette idée commune, on perçoit des conceptions et des interprétations divergentes pouvant conduire à une individualisation de la protection. Mettre à la charge de l’opérateur de plateforme une responsabilité à la mesure de son pouvoir économique couplée avec un renforcement des protections attachées au travail, quelle qu’en soit la nature ? Trouver un régime des droits permettant à toute personne de ne pas être enfermée dans un statut professionnel, de faire des choix, d’exercer sa liberté du travail ?
D’autres questions sont alors soulevées. Il y a tout d’abord un premier volet sur le périmètre de la protection sociale et ses conséquences. En effet, l’élargissement des droits à l’ensemble des actifs conduit-il une modification du financement ? Si l’impôt prend une part de plus en plus importante, quel est alors l’impact sur la gouvernance de la protection sociale ? Le rôle de l’État est-il accru ? Un autre enjeu se situe autour du caractère obligatoire de la protection sociale. En effet, le besoin d’autonomie des travailleurs remet-il en question ce dernier ? Le rôle des organismes privés ou encore la patrimonialisation des droits sociaux ont-ils un impact sur l’individualisation des risques et donc des comportements ? Sur l’ensemble de ces aspects, il sera intéressant de regarder les expériences étrangères.
Derrière ces enjeux sur les évolutions des politiques publiques, le rôle des organismes privés de prévoyance est essentiel, mais aussi celui des autres acteurs qui peuvent participer à la construction d’une protection sociale pour les individus.
3.2 Le rôle des nouveaux intermédiaires
La modification du périmètre de la protection sociale interroge la gouvernance de cette dernière (Damon, 2017), avec une évolution des relations entre acteurs publics mais aussi avec les acteurs privés
En effet, des acteurs privés marchands ont un rôle de plus en plus important et la législation va dans ce sens en renforçant notamment les possibilités d’initiatives accordées aux plateformes. Dans le code du travail, les travailleurs accomplissant des tâches ou leurs courses par l’intermédiaire d’une plateforme sont vus comme des indépendants. Néanmoins, lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation fournie ou du bien vendu et fixe son prix, le code du travail reconnait sa « responsabilité sociale à l’égard des travailleurs concernés ». La teneur de cette responsabilité sociale résulte aujourd’hui du jeu combiné des dispositions du Code du travail (article L. 7342-1 et suivants) et du Code des transports (article L. 1326-1 et suivants). À l’initiative de la plateforme, les conditions et les modalités d’exercice de cette responsabilité sociale peuvent être explicitées dans une charte. En matière de protection sociale, une double latitude est donnée à la plateforme : souscrire un contrat collectif pour garantir les travailleurs contre le risque d’accident du travail, au lieu et place du co-financement de leur assurance volontaire en tant que travailleur indépendant et, « le cas échéant », un contrat collectif de protection sociale complémentaire (article L. 7342-2 et L. 7342-9). Dans ce contexte, le rapport Frouin (2020) à la demande du premier ministre préconise pour les travailleurs des plateformes de se tourner vers un tiers tel qu’une entreprise de portage ou une coopérative d’activité et d’emploi (CAE) pour obtenir un statut de salarié. La complexité du montage juridique a d’ailleurs soulevé de nombreuses critiques (Dirringer et Del Sol, 2021). Plusieurs questions peuvent alors être soulevées. Les travailleurs ont-ils recours à ces formes de solidarité ? Dans ce contexte, les acteurs de l’économie collaborative ont-ils un rôle à jouer dans la définition de certaines règles de protection sociale ? Ont-ils un rôle à jouer dans sa gestion ?
La relation aux syndicats et les modalités du dialogue social sera un des axes de l’appel à articles de la revue Travail et Emploi. Néanmoins, dans cet axe, nous nous intéressons à la construction de mouvements collectifs de travailleurs ainsi qu’à leurs revendications et notamment concrètement, à l’ensemble des formes de coopérations, que ce soit par les CAE, les SCOP (sociétés coopératives et participatives) ou encore les groupes de travailleurs en freelance auto-organisés. Il nous semble ainsi intéressant de regarder les pratiques sociales Quel rôle de ces intermédiaires dans le développement d’une solidarité entre travailleurs ? Quel est le fonctionnement de ces organisations ? Quelles motivations pour la création de ce type de collectifs ? Quel est le rôle de cette solidarité professionnelle dans la protection des risques ? Comment s’articule- t-elle avec la protection sociale instituée ? Qu’en est-il au niveau européen ?
Références bibliographiques
Abdelnour S. (2014), « L’auto-entrepreneuriat : une gestion individuelle du sous-emploi », la nouvelle reveu du travail, n°5
Amar, N., Viossat, L-C. (2016), Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, IGAS, rapport n°2015-121R
Bostman R. (2013), « The sharing economy lacks a shared definition », Fast Company.
Bruno A-S (2014), « retour sur un siècle de protection sociale des travailleurs indépendants », In Célérier S. (dir.), Le travail indépendant : statuts activités et santé. Liaisons sociales
Bureau M-C, Corsani A. ( 2014) « Du désir d’autonomie à l’indépendance. Une perspective sociohistorique », La nouvelle revue du travail , n°5
Castel R., Haroche Cl ; (2005), Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Hachette.
Chauchard J-P. (2017), « L’apparition de nouvelles formes d’emploi : l’exemple de l’ubérisation » in Travail et protection sociale : de nouvelles articulations ? coll : Grands colloques, LGDJ.
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D’Amours Martine (2006), Le travail indépendant. Un révélateur des mutations du travail, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 2006, 217 p.
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Dockès E. (dir.) (2017), Proposition de code du travail. Sous l’égide du Groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-PACT). Editions Dalloz
Dirringer J., Del Sol M. (2021), « Un rapport mutique sur les enjeux de protection social », Droit social, mars, p.223
Dujarier, M. (2018). De l’utopie à la dystopie : à quoi collabore l’économie collaborative ?. Revue française des affaires sociales, p. 92-100.
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Gauron, A. (2018), « La protection sociale à l’heure du numérique : l’enjeu de l’affiliation et des cotisations patronales », Revue française des affaires sociales, p.82-91.
HCFIPS (2016), Rapport sur la protection sociale des non-salariés et son financement, octobre
Mondon-Navazo Mathilde (2017), « Analyse d’une zone grise d’emploi en France et au Brésil : les Travailleurs Indépendants Economiquement Dépendants (TIED) », Revue Interventions économiques [En ligne], 58 | 2017, mis en ligne le 15 mai 2017, consulté le 01 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/3545.
Nirello L. (coor) (2018), « Formes d’économie collaborative et protection sociale. Actes du séminaire de recherche de la DREES et de la DARES ». Les dossiers de la DREES. N°31
Papuchon A. (2016). « Indépendants et salariés du privé : une vision concordante du système de protection sociale », DREES, Etudes et résultats, n°979.
Pedersini, Roberto. (2002). « Economically Dependent Workers », Employment Law and Industrial Relations : Dublin, European Industrial Relations Observatory online, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail.
RFAS (2018), Tendances récentes à l’universalisation de la protection sociale : observations et enseignements, n°2018/4
Supiot A. (1999), Au-delà de l’emploi : Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe. Rapport de la Commission européenne
Viossat L.-C (2019), « Les enjeux clés de la protection sociale des travailleurs de plateformes », Regards, vol. 55, no. 1
Warin, P. (Ed.). (2017). Le non-recours aux politiques sociales. PUG.
Des informations complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être obtenues auprès des coordonnateurs aux adresses suivantes :
[1] Cela fait référence ici aux travailleurs qui ont les caractéristiques des indépendants (pas de contrat de travail, choix du temps de travail, possession de leurs outils de travail, etc.) mais qui dépendent économiquement d’un seul donneur d’ordre.
This call for papers is aimed at researchers in sociology, political science, economics, management, law, geography, demography, anthropology, and public health, as well as stakeholders in the fields of health and social medicine.
The deadline for submission is Monday 26 April 2021.
“The best way to relieve our hospitals is to avoid getting sick”[1]. These words, which Prime Minister Jean Castex pronounced a few days before the second lockdown was announced, sum up the line of thought that led the government to suddenly restrict movement and activity in the name of public health. These unprecedented measures, the social, economic and health consequences of which are as yet incalculable, were justified by the need to keep hospitals from being overwhelmed by a new influx of patients. In March 2020, and to a lesser extent in October 2020, the “Plan blanc” (“white plan”)[2] also led to the cancellation of the vast majority of scheduled surgical operations, consultations and hospitalizations. While the intention was to free hospital beds and staff to deal with the Covid-19 epidemic, this came at a great cost for other patients, whose healthcare was postponed. The narratives in which hospital staff stand united in the fight against the epidemic and the government is willing to pull all stops to prevent them from having to “sort the sick” are fantasy. This dossier will shed light on the social, political and organizational factors that led a public service – the hospital system – to a point where it was no longer able to meet its users’ needs[3].
The dossier, to be published in the fourth issue of Revue française des affaires sociales (RFAS) of 2021, will focus entirely on reforms affecting hospitals, and the crises and forms of resistance they have generated. This reflection on change in hospitals will allow for comprehensive cross-analysis of all efforts to handle the epidemic and of care workers’ ways of adapting to them (by prioritizing activities, reorganizing services, changing task distribution, etc.). Articles will be based on qualitative and/or quantitative empirical material from research that shed light on changes in hospital structures before or after the epidemic broke out. Contributions comparing crises, reforms and mobilization in public hospitals, with those occurring in other public services are welcome, as are historical or international comparisons.
Reforms
Like many other state institutions, the public hospital system has been undergoing a series of reforms for several years now, with an aim to reduce costs and rationalize activity. In addition to the technical and managerial measures which culminated in the introduction of Tarification à l’activité (T2A, procedure-based pricing), this first line of inquiry will specifically focus on the socially differentiated effects of these reforms, on the work of different categories of hospital staff.
One of the numerous policies implemented has led to many organizational changes: the development of outpatient care, that is, the provision of medical or surgical care outside the traditional framework of full hospitalization. What is now known as the “outpatient turn” consists in reorganizing institutions and their departments in such a way as to shorten patients’ stays in hospital and increase the proportion of medical care and services provided outside of hospitals. While these reforms are designed to respond to financial imperatives (reducing costs) by redirecting part of hospitals’ workload towards ambulatory medicine[4] – their proponents also emphasize the advantages of increasing fluidity in the movement of patients from one professional area to another[5] and reducing exposure to the risks of nosocomial diseases. It would be interesting to explore the effects of this shift on the working conditions of hospital staff, which are already particularly difficult[6]. The consequences of recent reforms on the roles and positions of managerial staff, on the emergence of new positions (bed managers and consultants[7]), and on the balance of power between hospital services also warrant analysis. The logic of concentrating resources on activities considered to be profitable[8] may result in significant disparities in investment when it comes to tasks, training and recruitment. How does this affecthospital hierarchies and competition between departments (and their heads) to obtain the patients best suited for short stays? The consequences of this shift can also be measured in terms of the gendered division of labour in hospitals: secretaries, nursing auxiliaries and nurses, most of whom are women, often end up having to discreetly cover up the institution’s shortcomings, thus allowing those who practise the noblest and most visible professions, and especially doctors, to still be seen as the heroes[9].
The effects of reforms aimed at cost containment can also be measured in terms of social and territorial health inequalities. For populations living in territories that are under-equipped with the medico-social services supposed to allow continuity of care after hospital discharge, what are the implications of part of hospitals’ workload being transferred to “outpatient” medicine? What does hospitalization at home meanfor disaffiliated working-class patients – those who are ageing or chronically ill and isolated due to their unstable family situation, administrative status or economic condition? Doctors’ freedom in prescription and in location of practice entails significant territorial inequalities, which may be aggravated by the transfer of care from hospitals to private practices and by a shift in the funding of healthcare, from the compulsory state-sponsored health insurance scheme to the private supplementary scheme. Contributions to the dissier could seek to show the equivalences of positions[10] in which the divide between rich and poor territories can be reflected and accentuated in access to care.
Crises
The fact that the Plan blanc, which is usually associated with emergency situations, was activated twice over just a few months in 2020, does call for close consideration of what makes the event a crisis[11]. Since the Covid-19 epidemic broke out, the term “crisis” has been used in public debate to highlight its seriousness. This draws a link with the “crisis of emergency rooms”[12] and, more generally, with the movement of hospital staff protesting against managerial reforms and the restrictions on resources being imposed on an institution that is managed on a “just-in-time”[13] basis. The government’s decision to impose a general lockdown throughout the country in the name of protecting the hospital system has contributed to placing this institution at the centre of the “public health crisis”. Beyond consensual discourses highlighting the extraordinary “courage” of care workers, this second line of questioning is intended to explain how hospitals and their staff have been able to cope with this unprecedented epidemic wave without collapsing.
The difficulties encountered in coping with the Covid-19 epidemic have also brought back into focus the weak regulatory measures imposed on private clinics compared to the ever-increasing loads and constraints placed on the public hospital system. To understand the crisis in public hospitals and its multiple facets we need to situate it in the context of the entire healthcare system, with close attention to the effects of the private sector’s rise on the pool of doctors and nurses who are still willing to accept worse working conditions and lower pay for the sake of public service. Moreover, the private sector is far from being uniformly and inevitably attractive to hospital workers: it varies according to their class, gender, and educational background. In addition to the widening gap between the public and private sectors, there is a proliferation of parallel arrangements that are blurring the boundaries between these two worlds, for instance private hospital consultations designed to keep public hospitals attractive for specialist doctors, and increasing recourse to subcontracting. Articles may focus on the sociology of patients who remain public service users as opposed to those who choose the private sector more and more systematically[14], and on the rationales which lead patients to choose between public and private services, according to their social situation, the seriousness of their condition, their feeling of urgency, and the healthcare offer, between private practices and the hospital or clinical solutions available in their territory. Such competition effects lead to forms of segregation which, in the long term, could undermine taxpayers’ willingness to contribute to a system that is less and less universal.
Analysing the Covid-19 epidemic as a public health crisis requires us to compare it with previous crises in recent history, and especially the 2003 heat wave crisis. In both cases, the high mortality rates of older people was a stark reminder of the fact that individuals’ chances of survival may depend on intensive care facilities and the availability of beds in intensive care units, while institutions throughout the country are far from being endowed with equivalent budgets[15]. The large number of patients in Ehpad (homes for the aged) who were sent to hospital departments and died there[16] calls for an examination of theplace of end-of-life care in the hospital system. The case of Ehpad and psychiatric ward residents who, conversely, were not transferred to hospital wards in time also warrants a study of the rationale according to which patients are “sorted” before they even enter a hospital (by whom, according to what criteria and with what legitimacy?).
Resistance and acceptance among hospital staff
While healthcare workers all agree that working conditions are deteriorating, their reactions may vary considerably depending on their social characteristics, trajectory, militant socialization, and the department and institution at which they work[17]. Hirschman’s triad allows us to broadly characterize the range of possible strategies[18]: here, Exit consists in leaving the public hospital to join the private sector, or changing one’s professional approach entirely; Voice is reflected in the multiple mobilizations that have taken place in recent years even though they are known to be difficult to lead in this sector, due to minimum service obligations; and Loyalty encompasses all attitudes consisting in carrying on one’s professional activities, fulfilling one’s mission and task, yet still feeling free to criticize current developments.
Collective mobilization among hospital staff has been the subject of numerous studies[19], but far less attention has been paid to the quieter resistance that takes place within hospital workspaces. It might also be interesting to look at the unlikely configurations that can emerge within hospital institutions that are enmeshed in multiple contradictions. What explains the fact that many hospital staff do not voice their exasperation with the deterioration of working conditions in political terms? What should be made of the fact that part of the hospital-university elite has become hostile to managerial reforms after having advocated for them for a long time, as the only possible future for public service?
Further information on the content of this call for papers can be obtained from the coordinators at the following addresses:
Authors wishing to submit an article to the journal on this theme are requested to send it with an abstract and a presentation of each author.
(see the RFAS “instructions for authors” [online] at https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/01_2017_plaquette_6p_pages_rfas_a4_uk_.pdf)
[1] Jean Castex, speech at the Hôpital Nord in Marseille, 24 October 2020.
[2] The Plan blanc consists in mobilizing all hospital health professionals, including those on leave, to deal with a crisis (accident, terrorist attack, epidemic, etc.). It is generally activated at the local level.
[3]For a review of the literature on hospitals in RFAS, see François-Xavier Schweyer, “L’hôpital, une transformation sous contrainte. Hôpital et hospitaliers dans la revue”, Revue française des affaires sociales, No. 4, 2006, pp. 203-223.
[4] On the transfer of patients to private practices, see Patrick Hassenteufel, François-Xavier Schweyer, Michel Naiditch, « Les réformes de l’organisation des soins primaires », Revue française des affaires sociales, No. 1, 2020.
[5] Frédéric Pierru, « Introduction. L’administration hospitalière, entre pandémie virale et épidémie de réformes », Revue française d’administration publique, n° 174, 2020, p. 305.
[6] Catherine Pollak, Layla Ricroch, « Arrêts maladie dans le secteur hospitalier : les conditions de travail expliquent les écarts entre professions », Études et Résultats, n°1038, Drees, November 2017.
[7] Nicolas Belorgey, « Trajectoires professionnelles et influence des intermédiaires en milieu hospitalier », Revue française d’administration publique, n°174, 2020,p. 405-423.
[8] Pierre-André Juven, « ‘Des trucs qui rapportent’. Enquête ethnographique autour des processus de capitalisation à l’hôpital public », Anthropologie & Santé. Revue internationale francophone d’anthropologie de la santé, 16, 2018.
[9] Christelle Avril, Irene Ramos Vacca, « Se salir les mains pour les autres. Métiers de femme et division morale du travail », Travail, genre et sociétés, n° 43, 2020, p. 85-102.
[10] Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, pp. 159-167.
[11] Alban Bensa, Eric Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain. Anthropologie & sciences humaines, 38, 2002, p. 5-20.
[12] By extension, the crisis in psychiatry also comes to mind – see Alexandre Fauquette, Frédéric Pierru, « Politisation, dépolitisation et repolitisation de la crise sans fin de la psychiatrie publique », Savoir/Agir, n°52, 2020, p. 11-20.
[13] Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public, Paris, Raisons d’agir, 2019, p. 162.
[14] Sylvie Morel, « La fabrique médicale des inégalités sociales dans l’accès aux soins d’urgence », Agone, n°58, 2016, p. 73-88.
[16] During the first wave, Covid-19 patients from retirement homes who were transferred to hospitals accounted for almost half of the deaths recorded by Santé publique France.
[17] Fanny Vincent, « Penser sa santé en travaillant en 12 heures. Les soignants de l’hôpital public entre acceptation et refus », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 19-1, 2017.
[18] Albert O. Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Harvard University Press, 1970.
[19] Danièle Kergoat, Françoise Imbert, Helène Le Doaré, Danièle Senotier, Les infirmières et leur coordination, Paris, Editions Lamarre, 1992, 192 p.; Ivan Sainsaulieu, « La mobilisation collective à l’hôpital : contestataire ou consensuelle », Revue française de sociologie, vol. 53, 2012, p. 461-492.
Envoyez vos lettres d’intention avant le 15 mars 2021
Afin de documenter la diversité des réponses aux débats sur la pertinence d’une approche de la santé spécifique aux minorités sexuelles et de genre en France, le Comité de Rédaction de la revue Santé publique entend réunir des éclairages pluridisciplinaires au sein d’un seul et même numéro.
Quatre axes sont retenus pour structurer cet appel à articles :
1.Les inégalités sociales de santé vécues par les minorités sexuelles et de genre : état de santé, stigmatisation, discriminations, violences, accès aux soins et aux services de santé, mais aussi diversité des besoins et des réponses, mobilisation des minorités dans la minorité, intersectionnalité, héritages coloniaux, diversité géographique et de milieux de vie
2.Les interventions en santé avec et auprès des minorités sexuelles et de genre : bilan d’interventions existantes ou d’expérimentations, retour d’expérience, analyse d’offres de santé/prévention
3.Les défis liés à la médicalisation/professionnalisation et à l’institutionnalisation : mobilisation communautaire et médicale, métiers et compétences, enjeux de profession et de reconnaissance, recherche en santé, politiques publiques, initiatives et obstacles, place du VIH/sida dans les financements, capacité à lever des fonds, stratégies de recherche de fonds
4.La santé des minorités sexuelles et de genre comme espace critique : critiques de l’acronyme « LGBT » (et de ses déclinaisons), de son caractère homogénéisant et de ses angles morts, enjeux de visibilité et d’invisibilité des minorités, tensions universalisme/spécificités, différenciations sociales transversales (classe, genre, race, état de santé, handicap…)
Calendrier
Jusqu’au 15 mars 2021 – Dépôt des lettres d’intention
Deuxième quinzaine d’avril – Communication de la réponse du Comité de pilotage
Fin août – Soumission des propositions d’article
Septembre 2021-Février 2022 – Procédure d’expertise (envoi en lecture et examen par deux experts-relecteurs, éventuelles demandes de modifications, lecture de validation, acceptations, édition en preprint dès maquettage des articles)
Mars 2022 à Mai 2022 – Montage éditorial et parution du numéro
La première étape est l’envoi d’une lettre d’intention à avant le 15 mars 2021. Elle comprendra au maximum 4 000 signes espaces compris et devra faire apparaître : titre, auteurs et affiliations, type d’article, résumé précisant le plan de votre article (titres des parties et méthodologie précisée), mots-clés.
Lang, M.-J. Saurel-Cubizolles, A. Billette de Villemeur, Groupe de travail permanent « Enfants » du HCSP : Y. Aujard, S. Colson, L. Com-Ruelle, E. Debost, P. Duché, A. Gindt-Ducros, V. Halley des Fontaines, M. Kelly-Irving, N. Vernazza-Licht
Porter le regard sur une expérience professionnelle au moment où elle s’achève, tel est l’objectif de ce témoignage sur les circonstances de la création de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore). Il ne s’agit pas pour moi de livrer ici une sociohistoire du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action, simplement de présenter la genèse de cet outil pour la recherche.
Cette histoire n’est pas connue car elle renvoie aux circonstances « discrètes » qui ont conduit à la construction de cet observatoire universitaire, lequel a pris part à l’émergence de la question du non-recours en France et un peu au-delà[1]. Dans mon souvenir, quatre de ces circonstances ont compté : une mise en garde, un désaccord, puis un constat suivi d’un coup de chance.
Une mise en garde
Le début de l’histoire remonte à ma participation au séminaire de recherche sur « La relation de service dans le secteur public » organisé de mars 1989 à janvier 1991 par l’ancien Plan Urbain et la RATP. Les sept séances du séminaire mettaient en discussion les travaux engagés alors à la RATP, EDF, la police, la SNCF ou à la Poste pour contribuer à la réflexion sur la modernisation des services publics par une meilleure connaissance des relations ordinaires entre agents et usagers. Assister aux échanges qui réunissaient des acteurs et des chercheurs français et étrangers tombait à pic. Préparant une thèse sur la place des usagers dans l’évaluation des politiques, je pouvais me nourrir de débats scientifiques sur les apports comparés des approches interactionnistes et ethno-méthodologiques.
Des chercheurs confirmés, comme Dominique Monjardet, connu pour son analyse de l’intérieur du travail des policiers et des rouages de l’institution, nous éclairaient. Il apparaissait que les approches compréhensives au plus près des acteurs permettaient de questionner directement les organisations et les politiques. Ces discussions méthodologiques à intervalles réguliers m’ont aidé à faire des choix. En considérant les relations de service comme un espace de négociation des règles dans la mise en œuvre des politiques publiques, il devenait possible de justifier l’étude de ces relations comme espace d’expression d’une citoyenneté (Warin, 1993).
Le souvenir de ce séminaire c’est aussi la mise en garde que j’ai reçue en aparté de son animateur scientifique principal, Isaac Joseph. J’avais été invité lors de la première séance du séminaire à participer à la table ronde qui suivait les propos institutionnels et scientifiques introductifs. Le débat réunissait autour d’Isaac Joseph, des représentants de la direction de La Poste, des universitaires, mais aussi Pierre Strobel, alors chef de la Mission Recherche au ministère des Affaires sociales et de la Santé, et André Bruston, Secrétaire permanent du Plan Urbain. On m’avait demandé de présenter ma recherche doctorale en cours, fondée sur l’étude de relations de service. J’avais accepté sans trop me demander où je mettais les pieds. Le fait que le terrain soit des organismes HLM intéressait le Plan Urbain. A joué probablement aussi le fait que j’étais alors accueilli et financé comme doctorant par le laboratoire CEOPS (Conception de méthodes d’évaluation pour les organisations et les politiques publiques) récemment installé par le ministère de l’Équipement et du Logement et par celui de la Recherche au sein de l’École nationale des travaux publics de l’État.
La table ronde avait pour objectif d’entendre des points de vue diversement situés (avec le souci, devenu une antienne, d’écouter aussi « la jeune recherche »). Il s’agissait de réagir aux propos introductifs d’Isaac Joseph sur l’intérêt de recourir aux approches interactionnistes pour comprendre au mieux le travail des agents prestataires. La modernisation des administrations et des services publics – l’un des grands chantiers de Michel Rocard alors Premier ministre – se voulait ascendante et participative. Suite aux premières interventions, Pierre Strobel (« artisan d’une recherche éclairée sur elle-même et sur ce qui est attendu d’elle pour contribuer au progrès social » – Commaille, 2007, p. 5) indiqua que le séminaire devait concilier une approche des tensions de la relation de service et une réflexion sur les principes du secteur public et leur logique. Il appelait à nourrir les questionnements de la science administrative, sinon de la sociologie de l’État, par l’approche compréhensive des relations de service. Certainement soucieux de ne pas subordonner la sociologie naissante (en France) des relations de service à d’autres questionnements, Isaac Joseph répondit en expliquant que l’ambition de la microsociologie, au cœur de ce séminaire, était ni plus ni moins d’analyser le savoir-faire de l’interaction dont dispose un agent prestataire. C’était la feuille de route qu’il fixait en tant qu’animateur scientifique, professeur de sociologie et fin connaisseur de l’œuvre d’Erving Goffman (Céfaï, Saturno, 2007).Isaac Joseph délimitait ainsi les attentes du séminaire pour assurer l’espace nécessaire au développement d’un nouveau champ de recherche.
La parole me fut ensuite donnée. Mes propos n’étaient pas vraiment en osmose : « […] Il n’est pas si sûr que nous soyons autant d’accord sur l’objet ‘relation de service’ que l’on nous propose à partir d’une problématique de l’énonciation inspirée de Goffman. […] J’ai peur que ne soient évacués trop vite les conflits et notamment les conflits de représentations. À partir d’autres méthodes on pourrait analyser les relations entre agents et usagers comme autant de lieux de négociation entre systèmes d’intérêts. […]. Ce serait tout l’intérêt d’une approche de la relation de servicepour une analyse des politiques publiques par le bas, ‘par les usagers’ »[2]. En relisant les actes de cette séance, il n’y a pas de doute sur ce qui avait motivé la colère froide d’Isaac Joseph. Il ne souhaitait pas que la sociologie des relations de service participe à la recomposition alors en cours de l’analyse des politiques publiques (Muller, Leca, Majone, Thoenig, Duran, 1996). Au moment de la pause, il me le fit comprendre vertement.
Au lieu de me laisser abattu, cet épisode au contraire renforça ma conviction que les relations de service ne sont pas qu’une question de savoirs pratiques – qui plus est des seuls agents prestataires –, mais qu’elles sont aussi un rapport social engageant des représentations. Celles-ci amènent agents et usagers à s’affronter et surtout à se confronter aux procédures administratives voire au contenu des politiques. Cet épisode constitue la première étape dans le cheminement vers la question du non-recours et la construction de l’Observatoire.
Un désaccord
Mon programme de recherche présenté en 1992 au concours du CNRS fut sans tarder mis en œuvre. Il proposait de développer une sociologie politique des interactions avec les usagers considérés davantage comme des citoyens que comme des consommateurs. Le triptyque usager/citoyen/consommateur était largement discuté à l’époque (Chauvière, Godbout, 1992). Pour éviter de stationner dans la valorisation de la thèse, un renouvellement des terrains de recherche était souhaitable. J’entrepris de courtes recherches sur l’instruction des demandes isolées de permis de construire et les conflits avec des usagers de la route ou des riverains de petits aménagements urbains. Ce choix était calculé. J’y voyais l’opportunité de répondre à des appels à projets plutôt faciles. Les recours contre les services de l’État comme les contestations de projets d’infrastructures étaient alors des sujets importants de préoccupation pour le ministère de l’Équipement et pour le Conseil général des ponts et chaussées. Encore affilié au CEOPS, je devais en effet répondre à des appels à projets pour contribuer aux activités du laboratoire et m’inscrire au mieux dans les attentes du ministère de tutelle. Il ne fallait donc pas non plus rater la nouvelle phase qui se présentait, celle du premier programme de recherche en sciences sociales du Conseil général des ponts et chaussées lancé en 1990 sur « L’administration de l’Équipement et ses usagers ». En répondant à l’un des appels à projets annuels, je pus contribuer à partir de ces terrains de recherche à la réflexion très active à l’époque sur la production de l’assentiment dans l’action publique.
Alors que le programme était en cours, son responsable me proposa, par l’intermédiaire du directeur de CEOPS, de participer à son pilotage. Ayant accepté d’assumer le secrétariat, entre 1993 et 1995 je me rendis régulièrement au Conseil général des ponts et chaussées pour travailler avec l’inspecteur général Claude Quin lequel, entre autres fonctions, avait présidé le conseil d’administration de la RATP de 1981 à 1986. Je le retrouvai à chaque fois avec deux de ses amis chercheurs : Monique et Raymond Fichelet l’accompagnaient en effet dans la direction du programme. Les séances de travail étaient sérieuses, à l’image du lieu. Le programme mené à bon port produisit son ouvrage (Quin, 1995).
L’expérience avait été enrichissante, mais pour moi quelque chose clochait. Pour Claude Quin et le couple Fichelet, la cible était les usagers qui donnaient de la voix, pas ceux qui se taisaient. L’idée que le silence ne vaut pas approbation était hors-jeu. Ce programme, comme celui du Plan Urbain auparavant, passait sous silence « le silence de ceux qui sonttrop désespérés pour exprimer ne serait-ce que des sentiments d’indignation, trop impuissants pour formuler leurs propres intérêts, fût-ce à eux-mêmes. »[3]. Je m’étonnais de ce choix, sachant l’ancrage à gauche de chacun d’eux (tous les trois étaient proches du Parti communiste, Claude Quin avait même été conseiller municipal PCF de Paris de 1977 à 1981). En tant que chercheur surtout, j’étais en désaccord. Pourquoi ne pas saisir ensemble les trois concepts particulièrement utiles pour l’analyse des services publics proposés par l’économiste Albert O. Hirschman (alors traduit en France et discuté aujourd’hui encore – Ferraton, Frobert, 2017) : la parole, mais aussi le loyalisme et la défection ?[4] Considérant que ce n’est pas parce que l’on se veut plus démocrate (plus de concertation, de participation, de délibération, d’évaluation, etc.) que l’on désire réellement plus de démocratie si l’on ne tient pas compte de ceux qui se taisent ou même qui se retirent, une autre certitude me tenaillait : l’analyse sociopolitique du rapport des citoyens aux administrations et services publics devait aussi s’intéresser à ces figures des « non-usagers ». Une nouvelle recherche de terrain allait déboucher sur le besoin de construire un dispositif de recherche dédié à la question du non-recours.
Un constat
Un travail sur « Les performances de justice. Exigences d’usagers et réponses des administrations » avait été rendu en décembre 1999 à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). A partir de plusieurs matériaux d’enquêtes menées auprès de services territorialisés de l’État et de délégués départementaux du Médiateur de la République, j’avais repris la question des relations de service pour montrer que la compréhension des rapports des usagers à l’offre publique ne se limite pas, loin s’en faut, aux savoir-faire de l’interaction. J’expliquais que des représentations et des valeurs entrent en ligne de compte et pèsent sur les résultats, en particulier lorsque agents et usagers se débrouillent avec les règles pour agir ou bien pour être traités en équité.
La conduite de cette recherche bénéficia d’échanges réguliers avec Isabelle Orgogozo, la responsable du Comité des études et de la prospective de la DGAFP. À chaque visite, j’étais conforté dans l’idée que l’étude des rapports des usagers à l’offre publique permet une analyse critique de l’action administrative, voire des politiques publiques.
Dans l’ouvrage qui suivit cette recherche, la question du non-recours fut explicitement introduite (Warin, 2002). J’expliquais que les usagers qui se taisent n’échappent pas aux agents de terrain. Ceux-ci essaient d’agir autant qu’ils le peuvent pour répondre aux demandes et éviter in fine le retrait des usagers. L’ouvrage s’appuyait aussi sur diverses lectures signalant que des usagers de l’école, de l’hôpital et d’autres services publics ne demandent plus rien[5]. Plus que jamais il me semblait que l’étude de la contestation ne pouvait pas prendre le pas sur l’analyse de la défection. Toutefois, les personnes à étudier ne sont pas seulement celles qui se taisent, mais aussi celles qui ne se présentent pas ou plus. Les comportements de repli me paraissaient donc tout autant préoccupants, sinon plus, que les comportements de contestation. Ils constituaient une porte d’entrée principale pour analyser le rapport critique des citoyens à l’offre publique, comme pour comprendre les difficultés des agents prestataires. Découvrant de surcroît une publication de la Caisse nationale des allocations familiales présentant le phénomène encore largement méconnu du non-recours[6], j’allais en faire explicitement l’objet d’une nouvelle recherche.
Isabelle Orgogozo m’avait prévenu de la préparation d’un nouveau programme, « Réformer l’État, nouveaux enjeux, nouveaux défis ». Je me souviens lui avoir dit que, quitte à parler de défis, ce pouvait être le moment – à mon humble avis – de se préoccuper du phénomène du non-recours. J’ajoutai de façon certainement un peu excessive que tous les programmes de recherche concernant les relations avec les usagers entretenaient l’illusion de (faire) croire que les destinataires sont nécessairement présents car captifs des administrations et des services publics. Un projet de recherche fut par conséquent déposé en mai 2000 en réponse à l’appel à projets de la DGAFP.
Son descriptif expliquait la raison d’une recherche sur le non-recours : « Un des paris majeurs de la réforme de l’État est de réaffirmer le rôle et la place des services publics dans la lutte contre l’exclusion. […] Cela étant, les retours d’expérience indiquent les limites de ces efforts, ce que confirment par ailleurs quelques travaux de recherche. […] En même temps, un autre phénomène tout aussi préoccupant tend peu à peu à être distingué, c’est celui du non-recours. […] Ce phénomène concerne des personnes qui ne s’adressent pas ou plus aux services publics pour satisfaire leurs demandes et qui, de ce fait, ne perçoivent pas tout ou partie des prestations, des services ou des droits auxquels elles peuvent prétendre. En un mot, il s’agit là du problème des “ non-usagers ” ».
Le projet accepté, une recherche collective aborda quatre domaines : Police-Justice, Éducation, Santé, Lutte contre la pauvreté. Les enquêtes permirent de produire le rapport « Le non-recours aux services de l’État. Mesure et analyse d’un phénomène méconnu ». Avant de le finaliser, Isabelle Orgogozo m’invita à venir présenter les premiers résultats au Directeur général de l’administration et de la fonction publique, Gilbert Santel. C’était au printemps 2001, peu de temps avant qu’il ne quitte ses fonctions.
Je ne me souviens plus de toute la discussion, mais très bien d’une chose. J’ai pris soin de dire à Gilbert Santel que tous les acteurs que nous avions rencontrés dans les différentes administrations nous avaient parlé du non-recours comme d’un problème pour eux, mais qu’aucun n’avait été en mesure de nous apporter le moindre élément de mesure. Et d’ajouter que pour relever les défis de l’administration de demain, il serait peut-être prioritaire de mesurer et documenter le phénomène du non-recours dont la présente recherche pressentait l’ampleur des dégâts. Je venais d’exprimer lors de cette entrevue le constat qui donnera lieu au projet d’observatoire du non-recours.
Un coup de chance
Le fait que la question du non-recours préoccupe les acteurs des politiques mais qu’ils la méconnaissent fut suffisant pour décider d’en faire l’objet d’étude principal de la suite de mon programme de recherche pour le CNRS. Dans cet objectif, un changement de braquet s’imposait. Il fallait construire un dispositif ad hoc pour documenter le phénomène dans la durée. Réaliser des enquêtes auprès d’acteurs n’était plus suffisant, élaborer et mener des enquêtes avec des acteurs s’imposait. Si ceux-ci étaient partants, ils ne pourraient qu’être intéressés par une recherche les associant. Le principe de l’accord n’aurait rien de particulier, je demanderais simplement aux acteurs de m’aider à construire des données dont ils auraient l’usufruit, selon les modalités d’une recherche collaborative qui garantit à chaque partenaire le meilleur retour sur investissement. L’idée générale d’un observatoire du non-recours venait d’apparaître, les conditions pour qu’elle germe apparurent rapidement. Ce fut un coup de chance.
La recherche sur le non-recours tout juste rendue à la DGAFP, je saisis l’occasion d’un appel à projets lancé par un tout jeune acteur, France Qualité Publique (FQP). Créé avec le statut d’association en septembre 2001, FQP se présentait comme un réseau partenarial de promotion de bonnes pratiques, d’évaluation des services rendus, de débats et de propositions sur la qualité des services publics rassemblant des associations d’usagers, d’élus, d’agents et des organismes publics. Par cet appel à projets, FQP entendait se faire connaître en incitant à la création sur les territoires d’observatoires de la qualité des services publics. Aussi, ai-je préparé une réponse à partir de l’idée qu’il ne peut y avoir de qualité publique sans action contre le non-recours aux administrations et services publics[7]. Le projet de création d’un « Observatoire départemental du non-recours aux services publics dans le département de l’Isère »[8] sera lauréat 2002 de France Qualité Publique.
Une séance officielle dans les locaux de l’ancienne DATAR se déroula le 26 juin 2002 en présence de Jean-Paul Delevoye qui venait d’entrer au gouvernement le mois précédent comme ministre de la Fonction publique, et d’Henri Plagnol, secrétaire d’État à la Réforme de l’État. Le président de FQP, Jean Kaspar, m’invita à présenter en quelques mots le projet d’observatoire du non-recours. De chaleureuses poignées de mains et un beau certificat complétèrent mon bonheur du jour. L’animateur de FQP m’avait prévenu : il n’y a pas de financements, mais il y a des réseaux.
Recevoir un label ne faisait cependant pas « nos affaires ». Il fallait aussi des ressources financières. Catherine Chauveaud était directement concernée. En reconversion professionnelle, elle correspondait au type d’associé que je recherchais pour fonder ce projet, qui nécessitait des liens étroits avec des acteurs locaux. Sociologue de formation, elle apportait vingt ans de travail de terrain en proximité avec des élus, des services et des populations, la richesse de son expérience professionnelle dans une importante association d’aide aux travailleurs migrants et à leurs familles. Le CNRS me rémunérait, mais il fallait des financements pour mon associée.
Les moyens arriveront d’abord de la Ville de Grenoble, comme l’annonçait l’annexe du projet présenté à FQP. Grâce à des contacts avec l’adjointe chargée de la Santé publique, de l’Hygiène, de la Salubrité et de la Prévention des nuisances, la Ville s’engageait comme partenaire dans le projet d’observatoire. L’élue nous demandait en échange d’étudier les données sociales et médicales du service de médecine scolaire. Une proposition viendra également de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour travailler sur la constitution d’indicateurs de suivi des abandons de demandes. M’étant occupé du volet « Lutte contre les exclusions » de la recherche sur le non-recours pour la DGAFP, j’avais eu des entretiens avec les directions et services des CAF de Grenoble et de Vienne. Particulièrement intéressé, le sous-directeur aux études m’avait encouragé à rencontrer Julien Damon, qui dirigeait alors le Département de la recherche, de la prospective et de l’évaluation de la CNAF. Dès notre première rencontre début 2002, Julien Damon manifesta son intérêt pour la question du non-recours (lui-même la rencontrait à l’époque dans ses travaux sur le sans-abrisme) et l’idée d’un observatoire. Parallèlement, les contacts établis avec les services de l’État en Isère à l’occasion de la recherche pour la DGAFP sur « Les performances de justice », et en particulier les relations avec le Préfet Alain de Rondepierre (en poste dans le département jusqu’en mai 2003), nous ont permis d’obtenir le soutien financer du « Fonds de réforme de l’État territorial ».
Les premières études furent lancées toutes de front. Le projet présenté à France Qualité Publique était programmé pour une durée de 30 mois, il ne fallait pas traîner en route. Dans son courrier du 3 juin 2002 annonçant l’attribution du Label FQP, Jean Kaspar avait conditionné son maintien « bien sûr à l’avancement du projet et en particulier au bon fonctionnement de l’indispensable comité de pilotage, afin que l’Odenore trouve l’assise et les financements nécessaires »[9]. Le 17 mars 2003, une réunion des partenaires se tint à Grenoble pour mettre en place le comité de pilotage. Elle fut introduite et conduite par le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Alpes du CNRS qui avait accepté d’accueillir l’Odenore au titre des « projets émergents ». L’Observatoire était mis sur les rails. Les quelques mois du projet se prolongent aujourd’hui encore.
_______
À partir de souvenirs personnels, ce court récit présente les circonstances qui ont conduit à créer l’Observatoire des non-recours aux droits et services. En si peu de lignes, il ne pouvait être question de tenter une histoire scientifique de l’émergence et du développement du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action.
En revanche, ce témoignage permet de lever le voile sur les circonstances qui ont conduit à créer cet observatoire universitaire. Il apporte ainsi une modeste contribution à une sociohistoire de l’émergence de la catégorie de non-recours que d’aucuns voudraient poursuivre[10]. Outre ce possible intérêt, il veut montrer – d’une façon qui paraîtra peut-être anecdotique (Renard, 2011) – que le métier de sociologue consiste aussi à produire les outils nécessaires à la construction de l’objet d’étude. Au-delà des modalités d’intervention (recherche-action, étude, évaluation, conseil, etc.), les outils sont les dispositifs de travail qui, en devenant pérennes, servent de tuteurs à la recherche qu’ils rendent possible. Pour cette raison, ils sont au cœur de l’expérience professionnelle.
En se limitant aux circonstances qui ont conduit à la création d’un dispositif de recherche, ce récit indique que la construction de l’outil dépend d’attitudes et de stratégies, sinon de simples tactiques, qui peuvent agir tôt dans une carrière de chercheur, même en amont d’un éventuel recrutement. Cependant, les circonstances que l’on saisit et force parfois sont actives parce qu’on les oriente dans le sens qui paraît nécessaire pour produire la recherche que l’on souhaite. Avec le recul, je dirai donc que le métier c’est aussi et probablement avant tout savoir trouver ce sens et le conserver dans la durée. Dans ce cas, la curiosité et la réaction (on pourrait parler d’indignation) propres à chacun sont certainement essentielles.
Ce sont peut-être les marques de « l’artisan chercheur », que certains disent sur le déclin (Monin, 2017). L’évolution rapide des techniques d’investigation et du traitement des données, la spécialisation très pointue et la co-écriture internationale, etc., pourraient en effet amoindrir sinon dissoudre « l’intériorité » propre au travail de recherche, qui peut être saisie par la manière dont la curiosité et la réaction, comme d’autres expériences internes privées (Bouveresse, 1976), entrent dans les jeux de langage publics qui sont aussi ceux de la recherche. En tout cas, la curiosité comme la réaction sont les ressorts de la recherche comme engagement (Neveu, 2003). Elles doivent cependant être contenues pour que le monde de la connaissance et celui de l’action (politique) ne se confondent pas.
Une sociohistoire du non-recours pourra ainsi montrer comment l’Odenore a contribué à construire distinctement une catégorie d’analyse et une catégorie d’action. Elle aura alors à vérifier comment la césure a été assumée (et les expériences privées contrôlées) pour des raisons déontologiques (éviter le prophétisme : ne pas parler du non-recours comme problème inquiétant, mais comme phénomène constaté – Warin, 2020) ou épistémiques (éviter la simplification des énoncés : assumer devant la demande d’explications simples et efficaces, les dimensions complexes et critiques du phénomène – Warin, 2014).
Références bibliographiques
Jacques Bouveresse, Le mythe de l’intériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Editions de Minuit, 1987 [1976].
Daniel Céfaï et Carole Saturno, Itinéraires d’un pragmatiste. Autour d’Isaac Joseph, Paris, Economica, 2007.
Michel Chauvière et Jacques Godbout, Les usagers entre marché et citoyenneté, Paris, L’Harmattan, 1992.
Jacques Commaille, « Pierre Strobel », Revue française des affaires sociales, 2007, 1, 3-5.
Nina Eliasoph, L’évitement du politique : Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne, Economica, 2010.
Cyrille Ferraton et Ludovic Frobert, Introduction à Albert O. Hirschman, Paris, La Découverte, 2017.
Philippe Monin, « La Grande Transformation du Métier de Chercheur », Revue Internationale PME, 2017, 30(3-4), 7-15.
Pierre Muller, Jean Leca, Giandomenico Majone, Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran, « Enjeux, controverses et tendances de l’analyse des politiques publiques », Revue française de science politique, 1996, 46(1), 96-133.
Erik Neveu, « Recherche et engagement : actualité d’une discussion », Questions de communication, 2003, 3, 109-120.
Claude Quin, L’administration de l’Equipement et ses usagers, Paris, La Documentation française, 1995.
Jean-Bruno Renard, « De l’intérêt des anecdotes », Sociétés, 2011, 114, 33-40.
Philippe Warin, « Les relations de service comme régulations », Revue française de sociologie, 1993, 34(1), 69-95.
Philippe Warin, Les dépanneurs de justice. Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité, Paris, LGDJ, 2002.
Philippe Warin, « Une recherche scientifique dans le problems solving : un retour d’expérience », Politiques et Management Public, 2014, 31(1), 113-122.
Philippe Warin, Le non-recours aux politiques sociales, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2016.
Philippe Warin, Petite introduction à la question du non-recours, Montrouge, ESF Editeur, 2020.
[1] C’est ce qu’indique par exemple, le rapport de conjoncture 2014 de la section « Politique, pouvoir, organisation » du comité national du CNRS, mais aussi des rapports et documents officiels (par exemple: Lucie Gonzalez et Emmanuelle Nauze-Fichet, 2020, « Le non-recours aux prestations sociales – Mise en perspective et données disponibles », Les Dossiers de la DREES, n°57, DREES, juin.
[2] Actes du séminaire (1989-1991) « La relation de service dans le secteur public », tome 1, pp. 19-21.
[3] La formule est de Nina Eliasoph (2010, p. 277), dont je découvrirai plus tard l’ouvrage issu d’une thèse parue aux États-Unis en 1998.
[4] Le modèle d’analyse d’Albert Hirschman sera mis à contribution dans l’explication de la dimension politique du non-recours par non-demande intentionnelle (Warin, 2016).
[5] L’ouvrage cite notamment : Adolphe Steg, L’urgence à l’hôpital, Rapport du Conseil économique et social, Journal officiel de la République française, 1989 ; Jean-Louis Derouet (dir.), L’école dans plusieurs mondes, Bruxelles, De Boeck, 1989 ; Yves Dutercq, Politiques éducatives et évaluation. Querelles de territoires, Paris, Presses Universitaires de France, 2000 ; …
[6]Recherches et Prévisions, « Accès aux droits. Non-recours aux prestations. Complexité », 1996, n° 43.
[8] L’acronyme Odenore fut décidé à ce moment-là. L’intitulé actuel, « Observatoire des non-recours aux droits et services », sera utilisé pour la première fois dans le rapport d’activité remis le 1er novembre 2005 à France Qualité Publique. Archives Odenore : Carton 9 – Dossier FQP.
[10] Clément Le Reste, « Du non-accès au non-recours : sociohistoire française d’une catégorie d’action publique (1970-2016) », thèse en préparation, Sciences-Po Lyon.
Cet appel à contribution s’adresse aux
chercheurs en sociologie, science politique, économie, gestion, droit, géographie,
démographie, anthropologie, santé publique, ainsi qu’aux acteurs du champ
sanitaire et médico-social.
Les
articles sont attendus avant le lundi 26 avril 2021
« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est
de ne pas tomber malade »[1]. La formule, prononcée par
le Premier ministre quelques jours avant l’annonce du deuxième confinement,
résume la logique qui a conduit le gouvernement à restreindre brutalement les
déplacements et l’activité, au nom de la santé publique. Ces mesures inédites,
aux conséquences sociales, économiques et sanitaires, incalculables pour le
moment, ont été justifiées par la nécessité de préserver l’hôpital d’un afflux
de malades. En mars 2020, et dans une moindre mesure en octobre 2020, le « plan
blanc »[2]
s’est de surcroît traduit par l’annulation d’une large majorité d’opérations
chirurgicales, de consultations, et d’hospitalisations programmées. Cedispositif
visant à libérer des lits d’hospitalisation et des personnels pour faire face à
l’épidémie de Covid-19 s’est révélé extrêmement coûteux pour les autres
malades, qui ont vu leurs soins reportés.Loin des visions enchantées de
personnels hospitaliers unis dans le combat contre l’épidémie et d’un
gouvernement prêt à tous les sacrifices pour leur éviter de devoir « trier
les malades », ce dossier entend éclairer les raisons sociales, politiques
et organisationnelles qui ont conduit un service public –l’hôpital –à ne plus
pouvoir répondre aux besoins de ses usager·es[3].
Ce projet de dossier de la Revue française des affaires sociales
(RFAS) pour son quatrième numéro 2021 sera consacré aux réformes du monde
hospitalier et aux crises et aux résistances qu’elles ont suscitées. La gestion de l’épidémie et les adaptations qu’elle a entraînées
chez les soignants (priorisation des activités, réorganisation des services,
évolution de la répartition des missions, etc.) pourront être prises en compte
de manière transversale dans cette réflexion sur les transformations de
l’hôpital. Les
articles s’appuieront sur des matériaux empiriques, qualitatifs et/ou
quantitatifs issus d’enquêtes permettant d’éclairer les évolutions des
structures hospitalières avant ou après le déclenchement de l’épidémie. Des
contributions comparant les crises, réformes et mobilisations à l’hôpital
public avec celles qu’ont connues d’autres services publics sont bienvenues,
ainsi que des comparaisons historiques ou internationales.
Réformes
À l’instar de beaucoup d’autres institutions
étatiques, l’hôpital public est soumis depuis plusieurs années à des réformes
successives qui se donnent pour objectif de diminuer les coûts et de
rationaliser l’activité. Au-delà des dispositifs techniques et gestionnaires
dont la tarification à l’activité (T2A) constitue l’aboutissement, ce premier axe sera consacré aux effets
socialement différenciés de ces réformes sur le travail de différentes
catégories de personnel hospitalier.
Parmi les multiples politiques mises en œuvre, le
développement de l’ambulatoire, c’est-à-dire la prise en charge de soins
médicaux ou chirurgicaux en dehors du cadre traditionnel de l’hospitalisation
complète, est source de nombreuses réorganisations. Ce qu’il est
désormais convenu d’appeler le « virage ambulatoire » consiste à
réorganiser les établissements et leurs services de façon à écourter la durée des séjours hospitaliers et à accroître le
volume des soins et des services médicaux dispensés hors du milieu hospitalier. En transférant
une partie de l’activité hospitalière vers la médecine dite
« ambulatoire », qu’elle soit de « ville » ou de
« proximité »[4], les réformes visent à répondre
aux impératifs financiers (réduire les coûts) tout en soulignant les avantages
d’une meilleure fluidité de la circulation des patients d’un espace professionnel
à l’autre[5] et d’une moindre
exposition aux risques de maladies nosocomiales. Il serait intéressant
d’explorer les effets de ce transfert
d’activité sur les conditions de travail
des personnels hospitaliers qui sont déjà
particulièrement pénibles et dégradées[6]. Il
conviendrait également d’analyser les conséquences des récentes réformes sur la
place occupée par les professionnel·les de l’organisation (cadres de santé,
cadres de pôles), voire sur l’émergence de nouvelles fonctions (bed managers et consultant·es[7]),
et sur les rapports de force entre les services hospitaliers : la logique de concentration des
moyens sur les activités considérées comme rentables[8] peut se traduire par
d’importants écarts d’investissements en termes de travaux, de formation et de
recrutements. Quels en sont les effets
sur les hiérarchies hospitalières, mais aussi sur la compétition entre (chefs
de) services pour la captation des malades les mieux ajusté·es aux séjours
courts ? Les conséquences peuvent également se mesurer sur le plan de
la division genrée du travail à l’hôpital :
secrétaires, aides-soignantes et infirmières sont souvent celles qui doivent
couvrir, en toute discrétion, les défaillances de l’institution, permettant
ainsi à ceux qui exercent les métiers les plus nobles et les plus visibles,
notamment les médecins, de continuer à endosser le beau rôle de héros[9].
Les effets des réformes visant
à contenir les dépenses se mesurent également à l’aune des inégalités sociales et territoriales de santé. Quels
sont les enjeux du transfert d’une partie de l’activité hospitalière vers la médecine
dite « ambulatoire » pour des populations résidant dans des
territoires sous-dotés en services médico-sociaux censés permettre la
continuité des soins après la sortie de l’hôpital ? Que signifie l’hospitalisation
à domicile pour des patient·es des fractions désaffiliées des classes
populaires, vieillissant·es ou atteint·es d’une maladie chronique et isolé·es
du fait de leur situation familiale, administrative ou économique instable ? La
liberté d’installation et de prescription des médecins se traduit par
d’importantes inégalités territoriales qui peuvent se trouver accentuées par le
transfert des soins de l’hôpital vers « la ville » et par un
basculement du financement des soins, du régime obligatoire d’assurance maladie
vers le régime complémentaire. Les contributions pourront tenter de faire
apparaître par quelles homologies de
positions[10]
les oppositions entre territoires riches et pauvres peuvent se retraduire et
être accentuées dans l’espace de l’accès aux soins.
Crises
En 2020, l’activation à deux reprises en quelques mois
du « plan blanc », habituellement associé à des situations d’urgence,
invite à reconsidérer ce qui fait crise dans l’évènement[11]. Dès l’apparition de l’épidémie
de Covid-19, le terme de « crise » s’est imposé dans le débat public
pour caractériser la gravité de l’épidémie, faisant le lien avec la
« crise des urgences »[12] et plus généralement avec
le mouvement de contestation des personnels hospitaliers contre les réformes
managériales et les restrictions de moyens d’une institution gérée à « flux
tendus »[13].
La décision du gouvernement de décréter un confinement généralisé sur
l’ensemble du territoire au nom de la préservation de l’hôpital a contribué à
placer cette institution au centre de la « crise de santé publique ».
Au-delà des discours convenus valorisant le « courage » exceptionnel
des soignant·es, l’enjeu de ce second axe est d’expliquer ce qui a permis à l’institution hospitalière et à ses
personnels de faire face à cette vague épidémique inédite, sans pour autant
s’effondrer.
Les difficultés rencontrées pour faire face à
l’épidémie de Covid-19 ont également remis au cœur de l’actualité les faibles
dispositifs de régulation imposés aux cliniques privées par comparaison avec
les missions et les contraintes toujours plus nombreuses qui pèsent sur l’hôpital
public. Appréhender la crise de l’hôpital public dans ses différentes
dimensions suppose de le resituer dans
l’ensemble du système de soins, en étant attentif aux effets que l’essor du
privé produit sur le vivier des médecins et des infirmièr·es encore disposé·es
à sacrifier leur niveau de rémunération et leurs conditions de travail à la
mission de service public. Cette attraction du privé est d’ailleurs loin d’être
uniforme et inéluctable : elle varie selon la position de classe, de
genre, et les capitaux scolaires des agents hospitaliers. À cet écart qui se
creuse entre deux univers s’ajoute la multiplication de dispositifs parallèles
tels que les consultations privées à l’hôpital destinées à préserver
l’attractivité de l’hôpital public pour les médecins spécialistes, et un
recours croissant à la sous-traitance qui brouille les frontières entre secteur
public et privé. Les contributions
pourront être attentives à la sociologie des patient·es qui continuent à
fréquenter le service public, par opposition à celles et ceux qui se
tournent de plus en plus systématiquement vers le privé[14], et aux logiques de choix
du service public ou du privé, selon les propriétés sociales des usager·es, la
gravité des maladies, l’urgence ressentie, les filières de soins entre la
« ville » et l’hôpital ou l’offre hospitalière sur le territoire. De
tels effets de concurrence induisent des formes de ségrégation qui, à terme,
pourraient saper le consentement à contribuer pour un système de moins en moins
universel.
Si l’épidémie du Covid-19 peut être analysée comme une
crise de santé publique, elle doit aussi être rapprochée des crises qui l’ont précédée dans l’histoire récente,
et notamment la crise de la canicule de 2003. Dans les deux cas, la
surmortalité de personnes âgées est venue rappeler que les chances de survie des
individus peuvent dépendre des équipements de réanimation et des places
disponibles dans les services de soins intensifs, sachant que les dotations
budgétaires des établissements sont loin d’être équivalentes sur tout le
territoire[15].
Le nombre important de résident·es malades des Ehpads qui ont été envoyé·es
dans des services hospitaliers et qui y sont décédé·es[16], exige d’engager une
réflexion sur la place de la fin de vie
dans le système hospitalier. Le cas des résident·es malades des Ehpads et
des services psychiatriques qui, à l’inverse, n’ont pas été transféré·es dans
des services hospitaliers exige également d’étudier les logiques de « tri »
effectué entre patient·es (par qui, selon quels critères et avec quelle
légitimité ?) avant même l’arrivée à l’hôpital.
Résistances
et acceptations des personnels hospitaliers
Si tous les soignant·es s’accordent sur le constat
d’une dégradation des conditions de travail, leurs réactions peuvent
considérablement varier selon leur caractéristiques sociales, leur trajectoire,
leur socialisation militante, leur service et leur institution d’appartenance[17]. La triade d’Hirschman permet
d’envisager, en première approche, l’éventail des stratégies possibles[18] : la sortie (exit) consisterait à quitter l’hôpital
public pour rejoindre le privé ou changer complètement de perspective
professionnelle ; la prise de parole (voice)
pourrait s’apparenter aux multiples mobilisations qui ont eu lieu ces dernières
années, même s’il s’agit d’un secteur où elles sont réputées difficiles en
raison des obligations de service minimum ; la loyauté (loyalty)
engloberait tous les comportements consistant à rester à son poste et à remplir
sa mission, sans pour autant s’empêcher de formuler des critiques à l’égard des
évolutions en cours.
Les mobilisations collectives
des personnels hospitaliers ont fait l’objet de nombreux travaux[19] mais les résistances plus discrètes qui se déploient au sein même des
espaces de travail de l’hôpital sont beaucoup moins étudiées. Il pourrait
également être intéressant de se pencher sur les configurations improbables qui peuvent émerger au sein d’institutions
hospitalières traversées par de multiples contradictions : comment
expliquer que de nombreux personnels soignants ne formulent pas en termes
politiques leur exaspération à l’égard de la dégradation des conditions de
travail ? Comment comprendre qu’une partie des élites
hospitalo-universitaires soient devenue hostiles aux réformes managériales
après les avoir longtemps promues comme le seul avenir possible pour le service
public ?
Des informations
complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être
obtenues auprès des coordonnateurs aux adresses suivantes :
[1] Jean Castex, discours à l’Hôpital
Nord de Marseille, 24 octobre 2020.
[2] Le plan blanc consiste à mobiliser
l’ensemble des professionnel·les de santé hospitaliers, y compris lorsqu’ils
sont en congé, afin de faire face à une crise (accident, attaque terroriste,
épidémie, …). Il est généralement décidé au niveau local.
[3]Pour une revue de littérature sur la façon dont l’hôpital a
été traitée dans la RFAS, voir François-Xavier Schweyer, « L’hôpital, une
transformation sous contrainte. Hôpital et hospitaliers dans la
revue », Revue française des affaires sociales, n°4, 2006, pp.
203-223.
[4] Sur les transferts de l’activité
vers la médecine de ville, voir Patrick Hassenteufel, François-Xavier Schweyer, Michel Naiditch, « Les réformes de
l’organisation des soins primaires », Revue
française des affaires sociales, n°1, 2020.
[5] Frédéric Pierru,
« Introduction. L’administration hospitalière, entre pandémie virale et
épidémie de réformes », Revue française d’administration publique,
n° 174, 2020, p. 305.
[6]Catherine Pollak,
Layla Ricroch, « Arrêts maladie dans le secteur hospitalier : les
conditions de travail expliquent les écarts entre professions », Études et Résultats, n°1038, Drees,
novembre 2017.
[7] Nicolas Belorgey, «Trajectoires
professionnelles et influence des intermédiaires en milieu hospitalier », Revue française d’administration publique,
n°174, 2020,p. 405-423.
[8]Pierre-André Juven, « ‘Des
trucs qui rapportent’. Enquête ethnographique autour des processus de
capitalisation à l’hôpital public », Anthropologie
& Santé. Revue internationale francophone d’anthropologie de la santé,
16, 2018.
[9]Christelle Avril, Irene Ramos
Vacca, « Se salir les mains pour les autres. Métiers de femme et division morale
du travail », Travail, genre et sociétés,
n° 43, 2020, p. 85-102.
[10]Pierre Bourdieu,« Effets de
lieu », La misère du monde,
Paris, Seuil, 1993, p. 159-167.
[11]Alban Bensa, Eric Fassin,
« Les sciences sociales face à l’événement », Terrain. Anthropologie & sciences humaines, 38, 2002, p. 5-20.
[12] Par extension, on peut également
penser à la crise de la psychiatrie, cf. Alexandre Fauquette, Frédéric Pierru,
« Politisation, dépolitisation et repolitisation de la crise sans fin de
la psychiatrie publique », Savoir/Agir,
n°52, 2020, p. 11-20.
[13]Pierre-André Juven, Frédéric
Pierru, Fanny Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de
l’hôpital public, Paris, Raisons d’agir, 2019, p. 162.
[14]Sylvie Morel, « La fabrique
médicale des inégalités sociales dans l’accès aux soins d’urgence », Agone, n°58, 2016, p. 73-88.
[16] Durant la première vague, les
malades du Covid-19 venu·es des maisons de retraites et transféré·es à
l’hôpital ont représenté près de la moitié des décès comptabilisés par Santé
publique France.
[17]Fanny Vincent, « Penser sa santé en
travaillant en 12 heures. Les soignants de l’hôpital public entre acceptation
et refus », Perspectives
interdisciplinaires sur le travail et la santé, 19-1, 2017.
[18]Albert O.
Hirschman, Exit, voice, and loyalty:
Responses to decline in firms, organizations, and states. Harvard universitypress, 1970.
[19]Danièle Kergoat, Françoise Imbert,
Helène Le Doaré, Danièle Senotier, Les
infirmières et leur coordination,Paris, Editions Lamarre, 1992, 192
p. ; Ivan Sainsaulieu, « La mobilisation collective à l’hôpital :
contestataire ou consensuelle?», Revue française de sociologie, vol. 53,
2012, p. 461-492.