Compte-rendu de la deuxième séance du séminaire « Migrations et santé »

Ce séminaire en quatre séances vise à préparer un appel à contribution pour un numéro thématique de la Revue française des affaires sociales à paraître à l’automne 2024. Cet appel à contribution sera diffusé en juin 2023.

Cette deuxième séance a réuni environ 60 personnes, en distanciel. Elle avait pour objet de questionner comment la prise en charge en santé des personnes migrantes est devenue en enjeu de santé publique majeur.

Anaïk Pian, professeure de sociologie à l’université de Strasbourg, rattachée au laboratoire LinCS et fellow à ICM débute la séance par une intervention ayant pour titre « L’interprétariat comme dispositif d’accès aux soins et d’accès aux droits : regards croisés dans les domaines de la santé et de l’asile ». Son objectif est de mieux comprendre la structuration d’un groupe professionnel en construction et de mieux comprendre la place donnée à la parole des interprètes selon les territoires d’intervention. Comment l’ethnicisation du métier se répercute-t-elle sur les attentes, la place donnée aux interprètes et sur la dynamique de reconnaissance professionnelle ? Elle s’appuie sur des enquêtes de terrain dans le domaine de la santé et de l’asile.

A partir des 1970 et surtout depuis le début des années 2000, des associations militent pour la reconnaissance de l’interprétariat professionnel. Le recours aux interprètes est un moyen de lutter contre les inégalités sociales de santé et est nécessaire pour exercer le consentement éclairé du patient. C’est toutefois un métier qui peine encore à acquérir une véritable reconnaissance institutionnelle.

Entre l’interprétariat médico-social et celui à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), il n’y a pas forcément une structuration, mais des acteurs en commun (notamment les prestataires), un même souci de professionnalisation, des profils similaires parmi les interprètes avec une forte ethnicisation (mobilisation d’une langue maternelle acquise dans le cadre d’une socialisation familiale). En santé mentale, l’interprète peut glisser vers la figure du médiateur culturel. C’est donc une ethnicisation qui tend à être saisie comme une ressource, si son usage reste « maîtrisé » par les professionnels de santé.

Par contre, à la CNDA, cette ethnicisation est disqualifiée. On constate une proscription du rôle de médiateur culturel mais avec toutefois une attention interculturelle. A la CNDA, plus de 80% des audiences se font avec un interprète. Ce dernier est souvent pris entre des exigences contradictoires (nécessité d’expliciter des choses, d’être sûr de comprendre les questions des juges, de relancer le demandeur d’asile et enfin le souci de ne pas sortir de la seule traduction).

Estelle Carde de l’université de Montréal intervient ensuite pour définir les inégalités sociales de santé (ISS) en lien avec l’immigration. L’ISS renvoie généralement à des différences de santé entre groupes sociaux (même si cela peut être aussi entre individus, c’était par exemple le cas entre 1999 et 2003 pour l’Organisation mondiale de la santé). Cette perspective questionne donc les groupes à considérer. Pour certains auteurs, cela peut être tous les groupes (économiques, géographiques…). Tout ce qu’étudie l’épidémiologie caractériserait alors les ISS. Par exemple, si on constate que la santé des immigrés originaires de tel pays est moindre que celle de la société d’accueil, on conclut qu’il y a des ISS, quelle que soit l’origine de ces inégalités (traditions culturelles, pratiques alimentaires, systèmes d’oppression…). Le problème est alors que le concept n’a pas d’efficacité politique car on n’est pas forcément dans le cadre de la lutte pour la justice sociale.

Des auteurs ont ajouté à la définition le fait que ce sont des différences de santé entre groupes sociaux qui sont injustes. A partir de là, comment on repère ce qui est injuste ? On peut distinguer alors le point de vue émique (celui du groupe social étudié) et le point de vue étique (celui du chercheur extérieur au groupe). Si on prend le point de vue émique, on prend en compte les inégalités qui sont perçues comme injustes. Mais cela varie selon les sociétés (par exemple les écarts de revenus sont plus considérés comme relevant du mérite individuel aux Etats-Unis qu’en France) et comporte donc des limites.

Selon le critère étique, la conception de la justice est différente selon les places (toute différence dans l’accès à la santé est injuste) et selon les chances (une différence est injuste si elle résulte des circonstances qui ont entravé les mérites individuels). Mais c’est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de l’agentivité de l’acteur et les déterminants sociaux, en santé notamment (par exemple le tabagisme est à la fois un choix individuel et est plus répandu dans les classes les plus populaires).

Il est donc important de tenir compte des rapports de pouvoir dans la considération de ce qui favorise ou défavorise l’accès à la santé. On retrouve cette préoccupation dans la perspective intersectionnelle. L’intersectionnalité nous apprend qu’un rapport de pouvoir peut avoir un effet changeant selon la combinaison qu’il va former avec les autres rapports de pouvoir.

Ensuite Céline Gabarro, maitresse de conférences à l’université de Lille, rattachée au laboratoire CeRIES et fellow de l’ICM intervient sur « L’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière, droit ou charité ? ». L’Aide Médicale d’Etat (AME) se destinent aux étrangers en situation irrégulière. Les personnes qui en bénéficient n’ont pas à avancer les frais, et les dépassements d’honoraires sont interdits. Il faut justifier d’une pièce d’identité, d’une résidence de plus de 3 mois en situation irrégulière (si la personne est en situation régulière avant, il faut un délai de 3 mois) et conditions de ressources (moins de 798 euros par mois pour une personne seule en métropole). Fin 2018, il y avait 318 000 bénéficiaires de l’AME.

Jusqu’en 1993, les étrangers en situation irrégulière salariés pouvaient bénéficier de l’assurance maladie. C’est à l’initiative de Charles Pasqua que la condition de régularité s’impose pour en bénéficier. La loi « Pasqua » du 24 août 1993 marque un tournant dans l’affiliation à la Sécurité sociale, en subordonnant l’obtention de l’ensemble des prestations sociales à une condition de régularité du séjour.  L’AMD (Aide médicale départementale) est alors créé pour les français qui ne bénéficient pas de l’assurance maladie et les étrangers irréguliers. Ensuite l’AMD deviendra l’AME en 2000. C’est ainsi principalement au titre de la pauvreté et de leur résidence en France que les étrangers peuvent bénéficier de la solidarité nationale, et non plus au titre du droit social en tant que salariés et assurés sociaux.

Le non-recours à l’AME est important et varie selon les départements. Les horaires d’accueil sont très restreints. Parfois il n’y pas de rendez-vous possibles. Certaines personnes arrivent la veille pour espérer être reçues et dorment sur place… Il y aussi un effet des logiques managériales : temps d’accueil des personnes très minuté (entretien de pré-accueil de 3 minutes, puis rendez-vous dans un box de 20 minutes, pas d’interprétariat prévu, 80% des accueils doivent être traités au niveau du pré-accueil…). Au moment de l’examen du dossier, les agents ont trois choix : accord, refus, retour. Ils ont tendance à demander des pièces complémentaires par sécurité. La rationalisation gestionnaire du travail dans les caisses laisse peu de temps à la relation avec les usagers.

Jean-Charles Basson, politiste de l’université de Toulouse, laboratoire CreSco-LaSSP-CERPOP et Fabien Maguin, ex-coordonnateur administratif et financier de la Case de Santé de Toulouse terminent la séance à travers une intervention intitulé « Parcours migratoires, soins cliniques primaires, santé communautaire. L’approche intégrée de la Case de santé de Toulouse ». L’organisation de la Case convoque des principes inspirés par le système de santé communautaire, dans un environnement politique défavorable. Crée en 2006, la Case est concrètement un centre de santé communautaire, une Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de ville, organise des formations et est un espace d’expérimentation. Elle développe une approche intégrée, avec un centre de santé premier recours d’un côté et un espace d’accès aux droits de l’autre. 95% des patients sont étrangers, 80% bénéficient de l’AME. Le dispositif est implanté dans un quartier populaire de Toulouse et recrute d’anciens usagers, avec un parcours de vie et de santé qui nourrissent le travail dans la médiation[1].

L’intervention, puis les échanges avec les participant.e.s, se concentre sur la démarche communautaire. C’est une approche multifactorielle et pluridisciplinaire qui favorise la participation des personnes concernées et des communautés et envisage, selon une visée politique, un changement dans les rapports de pouvoir ; en prenant en compte l’ensemble des déterminants sociaux de la santé.

[1] Haschar-Noé, N. & Basson, J. (2021). Devenir médiateur·rice dans un centre de santé communautaire. Portraits de parcours des médiateur·rice·s pair·e·s de la Case de Santé de Toulouse. Revue française des affaires sociales, , 253-273