Séminaire de lancement du projet Publisocial

La Revue française des affaires sociales a organisé le jeudi 14 novembre 2019 un séminaire[1] de réflexion sur le rôle de la littérature grise dans la recherche, à l’occasion du lancement du portail documentaire Publisocial[2]. Ce séminaire a débuté par un mot de bienvenue d’Aurore Lambert (Secrétaire générale de la RFAS) et une présentation générale du projet Publisocial. Joseph Hivert (collaborateur scientifique de la RFAS) a ensuite présenté le conférencier invité,  Joachim Schöpfel, maître de conférences en Sciences de l’information et de la documentation à l’Université de Lille[3], et les attendus de la séance.

L’objectif de ce séminaire était de réfléchir à la façon dont les chercheurs utilisent la littérature grise, à ses différents usages scientifiques et plus largement à la façon dont l’univers de la recherche et celui de l’administration peuvent communiquer et échanger leurs données. Il visait également à s’interroger sur la qualité ou la valeur scientifique des données produites par les institutions, sur la légitimité de ces institutions productrices de littérature grise dans le processus de production de la connaissance. Séverine Mayol (collaboratrice scientifique de la RFAS) a présenté l’interface Publisocial : elle a rappelé que le choix d’une interface sobre vise à faciliter la navigation des connexions à bas débit, mais également à proposer un site accessible.  Suivant les principes du blog (format retenu pour le portail), les publications apparaissent dans l’ordre chronologique des publications, des plus récentes aux plus anciennes. Les publications sont thématisées afin de retrouver facilement le contenu désiré. Il est également possible de faire une recherche en saisie libre sur le site, ou à partir du moteur de recherche (indexation du site). Après une rapide démonstration de l’espace dédié aux partenaires publiant, Séverine Mayol a répondu à quelques questions posées par les participants. En matière de sécurité des données, le site ne contient aucune donnée sensible et ne nécessite pas le niveau de protection que le ministère ou les autres partenaires doivent garantir pour leurs sites institutionnels. Cependant, un niveau standard de sécurité est assuré par plusieurs programmes, ainsi que par le fournisseur d’accès au site. Concernant les thématiques et les mots-clefs, le principe est de pouvoir proposer aux lecteurs deux niveaux d’indexation : le premier renvoie à un thesaurus officiel, le second – les mots-clefs – permet une indexation plus fine et précise.

D’autres points concernant le projet en lui-même sont ensuite abordés, et notamment la question de l’intégration de nouveaux partenaires une fois le lancement officiel effectué. Il est suggéré d’intégrer notamment le Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS), la Direction de la sécurité sociale (DSS) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui produisent des données dans le champ social, y compris avec un aspect financier.

À la suite de cette présentation et de cette mise en contexte, Joachim Schöpfel est intervenu sur la question des « enjeux et des perspectives autour de la littérature grise ». Il a d’abord rappelé que la littérature grise constituait un concept « historique » aux contours incertains. Est généralement considéré comme littérature grise tout type de document produit par le gouvernement, l’administration, l’enseignement et la recherche, le commerce et l’industrie, en format papier ou numérique, protégé par les droits de propriété intellectuelle, de qualité suffisante pour être collecté et conservé par une bibliothèque ou une archive institutionnelle, et qui n’est pas contrôlé par l’édition commerciale. Cette définition pose cependant la question de la délimitation de la littérature grise : les blogs, les Tweets, les données Wikipédia, par exemple, peuvent-ils être qualifiés de littérature grise ? Joachim Schöpfel relève que pour certains chercheurs il n’y aurait plus de littérature grise puisque tout est diffusé, tout est devenu accessible (« Puisque tout est sur le Web, on a arrêté la collecte des rapports et conférences et on ne parle plus de littérature grise », British Library), alors pour d’autres il y aurait de plus en plus de littérature grise en raison des archives ouvertes, des blogs, des sites web et des réseaux sociaux (« 60% de nos collections sont de la littérature grise », TIB Hannover). C’est également la question de la qualité de la littérature grise qui est souvent discutée : elle est souvent décrite comme « non publiée » et « non évaluée » (pas d’édition et pas de peer review), comme provisoire et éphémère (fast food). Néanmoins, Joachim Schöpfel souligne que la littérature grise fait souvent l’objet d’un labelling (validation) par l’institution, qu’elle est contrôlée par des jurys et émane de projets scientifiques. Il donne l’exemple des thèses de doctorat de la Sorbonne, des working papers de la Toulouse School of Economics ou des Conférences du Collège de France.

Comment trouver la littérature grise ? Joachim Schöpfel évoque différentes sources : les moteurs de recherche (Google, Google Scholar), les bases de données et bibliothèques numériques spécialisées (pour certains types de documents ou certains domaines), les recherches manuelles dans les bibliographies et références (« boule de neige »), les sites web spécialisés, de référence, les contacts avec expert (ressources, travaux en cours). Il souligne également quelques défis pour trouver la littérature grise (identifiants, métadonnées, linked data), pour y accéder (libre accès, formats standards) et pour la réutiliser (formats ouverts, licences ouvertes, domaine public). Joachim Schöpfel note ensuite qu’environ 30% des références bibliographiques sont de la littérature grise (d’après une étude canadienne). Sur ce point, il prend l’exemple de la Revue française des affaires sociales : si la RFAS n’est pas de la littérature grise, elle fait usage de la littérature grise. Par exemple, dans le numéro 2019/2, il a repéré trois articles avec 93 références dont 25 sont de la littérature grise (mémoires, thèses, rapports, études, dossiers, notes, communications, statistiques).

Pourquoi s’intéresser à la littérature grise, s’interroge Joachim Schöpfel à la fin de son intervention ? D’une part, parce qu’elle constitue une mine d’information pour l’industrie, l’intelligence économique et la recherche ; et d’autre part parce qu’elle constitue une alternative à l’édition commerciale (« Bibliodiversité ») et qu’elle forme une partie importante de l’héritage scientifique. Néanmoins, la littérature grise fait face à deux problèmes : d’abord, le « monitoring » scientifique ignore (encore) largement ces documents (problème de fiabilité des sources et de représentativité) ; ensuite, les chercheurs et professionnels de l’information ne parlent pas (assez) de littérature grise mais de rapports, thèses, etc.

Plusieurs questions ou remarques ont été adressées à Joachim Schöpfel par les participants au séminaire.

  • Le terme de littérature grise est étonnant, peu connu : pour qui est-ce gris ? pour le documentaliste ? pour le chercheur ? pour le grand public/ le citoyen ? pour l’acteur public ? C’est une conception très normative alors qu’elle se veut au contraire attrape-tout. La statistique publique est-elle vraiment de la littérature grise ? C’est un terme qui peut être perçu comme péjoratif. Joachim Schöpfel a rappelé ici que le terme « littérature grise » est un terme professionnel qui ne renvoie pas à une définition précise et n’est pas normatif.
  • La Loi numérique de 2016 qui oblige à mettre en accès libre les données et résultats de recherche financée par des fonds publics contribue à augmenter la quantité de documents disponibles. Sont-ils considérés comme de la littérature grise alors que par ailleurs, ils pourront être publiés dans des revues ?
  • L’auditoire s’interroge également sur la pertinence des mots-clefs en français. Ne faudrait-il pas, pour augmenter la visibilité de ce qui est produit par les institutions, notifier également des mots-clefs en anglais ? Existe-t-il des travaux en anglais sur le sujet du transfert de connaissance entre monde académique et monde institutionnel ?

[1] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/revue-francaise-des-affaires-sociales/article/agenda

[2] http://www.publisocial.fr/qui-sommes-nous

[3] Ses recherches portent sur l’usage des ressources numériques, sur le lien entre pratiques informationnelles et production scientifique, sur les aspects juridiques de la communication scientifique et sur le développement des bibliothèques et des services documentaires. Il a notamment publié « Vers une nouvelle définition de la littérature grise », Les Cahiers de la Documentation, 2012.