Compte-rendu de la quatrième séance : Les sans-abri à l’épreuve de la crise sanitaire

L’objectif de cette dernière séance était de questionner les ajustements, désajustements ou réajustements de l’action publique en faveur des sans-abri depuis le début de la pandémie. Qu’est-ce que la crise sanitaire a révélé des dispositifs et du travail institutionnel en direction des sans-abri ? Comment les professionnels, qui ont été en première ligne dans la mise en application de l’action publique, sont-ils parvenus ou non à protéger les personnes accueillies et à se protéger eux-mêmes ? Quels ont été les impacts des mesures prises (comme le confinement) pour faire face à la pandémie ? Quelles sont les conséquences sociales de cette crise? Continuer la lecture de « Compte-rendu de la quatrième séance : Les sans-abri à l’épreuve de la crise sanitaire »

Rapport transversal du HCFEA « La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) : réalités sociales et politiques menées » – publié le 18 mars 2022

La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) : réalités sociales et politiques menées

La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) : réalités sociales et politiques menées, dossier transversal du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), établit un constat sur la situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) et propose des pistes en vue d’améliorer cette situation.

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CFC / “Social representations and types of public action according to age in France and in Canada: where are we in 2022?”/ March 10, 2022

Here is our multidisciplinary call for papers on ““Social representations and types of public action according to age in France and in Canada: where are we in 2022?” for the July-September 2022 issue of La Revue française des affaires sociales (RFAS).

Articles must be submitted before Thursday 10 March 2022

This issue will be coordinated by Laëtitia Ngatcha-Ribert (Université Le Havre-Normandie – IDEES Research Lab), Bernard Ennuyer (ETRES), Marie Beaulieu (Université de Sherbrooke) and Martine Lagacé (University of Ottawa).

This call for contributions is addressed to researchers in demography, sociology, economics, political science, management, psychology, communication, philosophy, law, anthropology, as well as contributors from healthcare and medicosocial fields.

The three axes of this call for papers are therefore as follows:

1/ Public action targeting age and generational criteria

2/ The existence of types of discrimination, including legal discrimination, and how they are experienced

3/ What social representations and social distinctions are at play?

The journal’s directions and standards for articles are  on line. Each article can include 45,000 characters, spaces included.

Two working sessions open to all potential contributors will be held remotely on the afternoon of Monday 14 of February and on the morning of Tuesday 15 of February.

You can book your place now by contacting us at: RFAS-DREES@sante.gouv.fr.

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RFAS 2022-3/ Critère de l’âge

 Appel à contribution pluridisciplinaire sur :

« Représentations sociales et catégorie d’action publique des âges en France et au Canada : où en sommes-nous en 2022 ? »

Pour le numéro de juillet-septembre 2022 de la RFAS

Le dossier sera coordonné par Laëtitia Ngatcha-Ribert (Université Le Havre-Normandie – Laboratoire IDEES), Bernard Ennuyer (ETRES), Marie Beaulieu (Université de Sherbrooke) et Martine Lagacé (Université d’Ottawa).

Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en démographie, sociologie, économie, science politique, gestion, psychologie, communication, philosophie, droit, anthropologie, ainsi qu’aux acteurs du champ sanitaire et médico-social.

Les articles sont attendus avant le jeudi 10 mars 2022

Une réunion de travail est proposée  aux contributeur·trice·s potentiel·le·s le mardi 15 février au matin dans les locaux du ministère (salle 4111 R, entrée par le 18 place des Cinq-Martyrs du Lycée Buffon, métro Gaîté, Pasteur ou Montparnasse) avec une possibilité de participer également à distance. Vous pouvez nous signaler dès maintenant votre intérêt à l’adresse : RFAS-DREES@sante.gouv.fr

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CFP / Transformations of Social Bureaucracies / November 4, 2021

 

Multidisciplinary Call for Papers on:

Transformations of Social Bureaucracies

For the April-June 2022 issue of the RFAS

The issue will be coordinated by:

Christine Le Clainche (Université de Lille) and Jean-Luc Outin (Mire)

This call for papers is for researchers in economics, management, sociology, political science, philosophy, law, geography, demography, anthropology, as well as for health and medical-social actors.

Articles must be sent by Thursday, November 4, 2021

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Appel à contribution « Quelles transformations des bureaucraties sociales ?» pour le 04/11/2021 (RFAS n°2022-2)

 

Appel à contribution pluridisciplinaire sur :

Quelles transformations des bureaucraties sociales ?

Pour le numéro d’avril-juin 2022 de la RFAS

Le dossier sera coordonné par :

Marianne Berthod-Wurmser, Christine Le Clainche (Université de Lille) et Jean-Luc Outin (Mire)

Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en économie, gestion, sociologie, science politique, philosophie, droit, géographie, démographie, anthropologie, ainsi qu’aux acteurs du champ sanitaire et médico-social.

Les articles sont attendus avant le jeudi 4 novembre 2021

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Séminaire « Bureaucraties sanitaires et sociales » : compte-rendu des trois séances

 

Séminaire

« Bureaucraties sanitaires et sociales »

Coordination scientifique

Marianne Berthod, Christine Le Clainche, Séverine Mayol, Jean-Luc Outin

 

Compte-rendu de la première séance du séminaire organisée le 12 janvier 2021 : « Observation du secteur sanitaire et social : y a-t-il des facteurs favorables au développement d’une organisation bureaucratique dans le secteur sanitaire et social ? »

Ce séminaire en trois séances vise à préparer un appel à contribution pour la publication d’un numéro thématique de la Revue française des affaires sociales. Cette première séance a rassemblé une soixantaine d’auditeurs grâce aux outils de visioconférence. Aurore Lambert, secrétaire générale, ouvre la séance en rappelant tout l’intérêt de la revue pour ces questionnements et présente le calendrier prévisionnel de préparation du dossier thématique :

 

  • Date de réception des articles dans leur première version au 4 novembre 2021 ;
  • Examen par le comité de lecture le 14 décembre 2021 ;
  • Examen des articles dans leur seconde version au 7 février 2022 ;
  • Livraison du numéro en juin 2022.

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CFP/ The production of social health inequalities (Monday 29 March 2021)

 

 

Multidisciplinary call for papers on:

 

The production of social health inequalities

 

For the July-September 2021 issue of RFAS

 

The dossier will be coordinated by:

 

Jean-Charles Basson, Political scientist, Director of the Institut Fédératif d’Études et de Recherches Interdisciplinaires Santé Société (IFERISS, FED 4142), Deputy Director of the Centre de Recherches Sciences Sociales Sports et Corps (CreSco, EA 7419), researcher at the Laboratoire d’Épidémiologie et Analyses en Santé Publique (LEASP-EQUITY, UMR INSERM 1027) and at the Laboratoire des Sciences Sociales du Politique (LaSSP, EA 4175), University of Toulouse,

Nadine Haschar-Noé, Sociologist, researcher at the Institut Fédératif d’Études et de Recherches Interdisciplinaires Santé Société (IFERISS, FED 4142), at the Centre de Recherches Sciences Sociales Sports et Corps (CreSco, EA 7419) and at the Laboratoire des Sciences Sociales du Politique (LaSSP, EA 4175), University of Toulouse,

Marina Honta, Sociologist, researcher at the Centre Émile Durkheim (UMR CNRS 5116), University of Bordeaux.

 

 

This call for papers is aimed at researchers in sociology, political science, geography, demography, anthropology, public health, economics, management, and law, as well as stakeholders in the fields of health and social medicine.

 

The deadline for submission is Monday 29 March 2021.

 

 

Social inequalities in health – SHI, as they are increasingly referred to – have tragically become an issue since they were brought to light by a school of epidemiology informed by the frameworks of social sciences, willing to look at social determinations, and sensitive to the biographical trajectories of individuals. From pioneering works to recent productions (Lang, 1993; Leclerc, Fassin, Grandjean, Kaminski, Lang, 2000; Aïach, Fassin, 2004; Elbaum, 2006; Leclerc, Kaminski, Lang, 2008; Lang, Kelly-Irving, Delpierre, 2009; Haut conseil de la santé publique, 2010; Lang, 2010; Aïach, 2010a; Aïach, 2010b; Lang, 2014; Lang, Kelly-Irving, Lamy, Lepage, Delpierre, 2016; Lang, Ulrich, 2017; Haschar-Noé, Lang, 2017), the literature in this long yet incomplete list shows that SHIs are biologically incorporated throughout an individual’s life (Krieger, 2001; Hertzman, 2012).

 

Hence, it is accepted that “biological phenomena as diverse as maternal health and nutrition, various childhood infections, vaccinations, and stress factors are linked to social processes such as the socio-economic status of parents or their access to health services […] [in such a way that,] had the whole of a life been an accumulation of disadvantages, any endeavour to repair previously done damages would require significant efforts” (Lang, 2010). This is based on the understanding that “social organization distributes advantages and privileges on the one hand and disadvantages and impairments on the other” (Aïach, 2010b). Yet what are these social processes and this likewise social organization, that so relentlessly command the dealing of advantages and privileges to some and disadvantages, damages, and impairments to others? According to what processes and rationales does this distribution of social inequalities operate in this medical sense?

 

  1. What is the meaning behind social inequalities in health?

 

These questions clearly warrant consideration, as “the transition from the structural facts characterizing society to the observed realities of health remains relatively obscure: the analysis of inequalities does not provide the key to the mechanisms by which macroeconomic and macrosocial transformations influence risk behaviour or prevention practices, mortality or morbidity rates” (Leclerc, Fassin, Grandjean, Kaminski, Lang, 2000). It seems like the “social” quality attributed to health inequalities, as it was introduced and validated by the epidemiologists most familiar with sociological considerations, has gone largely unexamined in terms of its multiple meanings and direct implications. It appears that anything that defies the biomedical paradigm and, more subtly, the epidemiological prism, is deemed “social”, which in this case means impalpable, immeasurable, and yet particularly effective. Assuming there were a somewhat mysterious and highly structuring social side to the production of health inequalities, most of the currently available literature proves both incapable of identifying it and unable to characterize its founding principles and determining factors. In this broad overview, the term “social” appears to denote an uncertain element of the indiscernible and all-encompassing “context” within which individuals exist and with which they must come to terms as best they can. This is clearly a blind spot in the prevailing analysis on the subject, that the journal Agone undertook to bring to attention by revealing that health was likely to “compound social inequalities” (2016).

 

Similarly, it is perfectly feasible and indeed imperative, to metaphysically consider that “the SHI situation raises essential issues such as life, death, or justice, that seem to have been forgotten” (Lang, 2014) and thus to invoke the values inspired by Elias’ historical civilizing process (Elias, 1997 [1939]), to suggest that this omission may be interpreted as “denial of a fact that belies the myth of equality” (Lang, 2014). Undertaking to analyse the drivers of the production of SHIs is equally important, albeit more mundane and tedious. For, if “social health inequalities are the result of complex processes that occur both in the social sphere and in the biological field […] and are the subtle product of the other social inequalities characterizing a society at a given time in its history” (Aïach, 2010b), we propose to work collectively to bring to light the social complexity and subtlety of the construction of health inequalities.

 

Research on SHIs has nevertheless made two major contributions over the last thirty years: the social gradient and health determinants. First, the former contends that individuals’ health corresponds to their respective social positions on a continuum (Galobardes, Shaw, Lawlor, Lynch, Smith, 2006; Cambois, Laborde, Robine, 2008; Garès, Panico, Castagné, Delpierre, Kelly-Irving, 2017; Mackenbach, 2017). Thus “most health indicators (life expectancy, healthy life expectancy, perceived health, healthy behaviour, use of the health system, etc.) deteriorate when descending from the most privileged to the most disadvantaged social categories” (Lang, Ulrich, 2017). Second, the many health determinants identified by research are divided into “three main families”: socio-economic determinants; health behaviours; and the healthcare and prevention system. Considered to be inter-dependent, “they form full-fledged chains of causality and accumulate […] over the course of a life” (Lang, Ulrich, 2017).

 

We consider these concepts as resources that analysis of the social construction of health inequalities can use both as steppingstones and as variables to be tested. We thus endorse Didier Fassin’s argument that “beyond the identification of risk factors made possible by epidemiology, it is for social sciences to understand the processes through which a social order translates into bodies” (Carricaburu, Cohen, 2002). Moreover, “rather than a reality derived from biological, medical or philosophical definitions, health appears to be both a notion and a space defined by the relationships between the physical body and the social body” (Fassin, 2002). The social body and the social order are thus unquestionably heuristic and empirical leads which may render “the origin and the foundations of social health inequalities” (Aïach, Fassin, 2004) respectively thinkable and visible. We therefore argue that, while epidemiology can point them out, SHIs are, amongst other factors, sociologically, politically, geographically, demographically, anthropologically, legally, economically, culturally, and corporally constructed.

 

Hence, the fact of using the broad spectrum of social sciences calls for the concepts and schools, methods and objects, data and field surveys of various disciplines to be brought together so as to sift through the cumulative determinants of the social and territorialized production of health inequalities. We are confident that by combining and comparing analyses, especially on an international scale and at a time when stock is still to be taken of Covid-19, we will be able to characterize the general production process of domination and social discrimination in health. In so doing, we hope to reveal the conditions under which this process is perpetuated and expanded, in order to counter it more effectively. For there is one issue that remains to be addressed in order to better understand SHIs and undertake to mitigate them: the multiple, complex and embedded logics of their implacable and meticulous production.

 

  1. The social construction of health inequalities

 

First of all, the social sciences under consideration here aim to confirm, through analysis, that socially constructed inequalities are indeed the issue at hand, as “being rich, educated and healthy is not an option that one could have to pick out among other possibilities. Wealth is more enviable than poverty, education and knowledge are valued more highly than lack of education and ignorance, and good health is preferable to ill health: this is why we do not speak merely of social differences between the rich and the poor, the educated and the uneducated, the healthy and those who are suffering or weakened, but of inequalities” (Lahire, 2019), be they in the area of health or any other domain, where each of them reinforces all others. While it is widely accepted that the source and breeding ground of inequalities is the structure of the social organization within which they operate, studying them entails closely inspection of the political dimension of the social relations governing their construction. Analyses submitted for this issue should therefore pay attention to the issues of power, the processes of domination, the mechanisms of stigmatization and the complex interplay of social distinctions, divisions and contradictions that make the perpetuation and aggravation of SHIs possible.

 

More specifically, to shed light on the workings of the production of social health inequalities is to choose deliberately to focus on the manifold situations that generate, produce and foster these inequalities. It is to study the places where means to craft, maintain and renew SHIs are patiently formed and elaborated, progressively shaped and ineluctably woven, lastingly forged and woven, skilfully ordered and rigorously arranged. It is also a question of understanding how this process takes place: according to which structuring mechanisms, under which conditions and core dynamics, which modalities and practices, which uses and behaviours, which experiences and opportunities. As such, the emphasis is placed firmly on the different processes and modes of health socialization and on the mechanisms at play in its formation. The aim is to determine how the effects of the reinforcement, remanence and reactivation of SHI can differentially mark (Bourdieu, 1979; Lahire, 2002) the incorporation of socially acquired dispositions relating to class, race, sex, gender, age and/or generation. Following the intersectional approach of Galerand and Kergoat (2014), these relations are conceived of as dynamic, consubstantial, articulated, interwoven and coextensive. Similarly, taking somatic cultures into account (Boltanski, 1971) makes it possible to critically examine the dialectical arrangement and logic of connection of social dispositions and health systems.

 

Moreover, the modalities whereby the government of bodies is produced (Foucault, 2008; Fassin, Memmi, 2004; Honta, Basson, Jaksic, Le Noé, 2018), and therefore of health (Basson, Haschar-Noé, Honta, 2013; Honta, Basson, 2015 and 2017), are also to be closely considered, as they tend to fuel the process of building and entrenching SHIs. The ability of the various instances of power to manage the social body’s quasi-organic components helps to enrol the body of individuals as a medium and a vector for implementing public health policy. The work on oneself that this entails, through a series of objectivization and individual discipline exercises, forces each subject gradually to incorporate the rules of propriety, wisdom, reason, common sense, prudence, even restraint, established as principles of life, of self-preservation and physical safekeeping. While this process involves incorporation, that is, control over one’s body and self-control in conduct as explained and described in Elias’ analysis (Elias, 1997 [1939]), it does not however free anyone from external control, legal sanctions, punitive procedures and other disciplinary penalties.

 

Yet not all bodies are impacted in the same way, with the same intensity, urgency and force. Differentiated modes of governance in population health are emerging, in which relationships of domination are at play. Thus, by prioritizing socially, culturally, economically, and geographically vulnerable people, this corporal governmentality is socially situated and directly confronted with the dispositions of their “target audience” whose tendencies and inclinations are often stigmatized. It is in the very bodies of vulnerable people from crisis-laden working-class backgrounds that public action (in the health sector or related areas affecting the social determinants of health) finds the most fertile ground to sow its seeds, express itself in multiple ways, persistently unfold and spread as it grows. “The contemporary working classes” (Cartier, Coutant, Masclet, Renahy, Siblot, 2015; Arborio, Lechien, 2019) are regularly subjected to injunctions to eat well, exercise enough, protect oneself adequately, to “behave well in a healthy city” (Basson, Honta, 2018). These injunctions bear witness to the depth at which a strong normative and moralizing aspect is anchored in modes of government of populations. The social conditions under which the modes and regimes of justification and legitimization of these relationships to the social and political order underpinning SHIs are received and interiorized warrant further attention. The time is particularly right, as access to the health system is increasingly difficult, digital tools are developing and impacting daily life, recourse to hospitalization at home is increasingly frequent, and the Covid-19 pandemic has led to widespread confusion between the realms of health-related order and of public order.

 

While the social incorporation of inequalities serves the “political production of health” (Fassin, 2002), it can also give rise to alternative forms of effective contributions to the general process, even though that may involve tampering with it. Seeing health inequalities as part of the entire social question also lays the ground for politicizing them. The mechanism through which objectives assigned to actions are requalified is known: “they ‘become’ political in a kind of – partial or total – reconversion of the end goals assigned to them, the effects expected of them and the justifications that can be given for them” (Lagroye, 2003). This is precisely what is at play in the field of health.

 

  1. Alternative forms of “political production of health”

 

While proposing to study “the social construction of reality” (Berger, Luckmann, 2012 [1966]) of health inequalities is tantamount to trying to counteract the totalizing influence of the biomedical filter on their perception and analysis, we are nevertheless careful not to contribute to erecting constructivism as a dogma that should invariably govern SHI studies. In direct reference to Berger and Luckmann’s seminal work and to the variations to which it still gives rise to this day, our aim is “to acquire a dynamic conception of the actor as being subjected to multiple and contradictory socialization processes which are never completed because they are unfinishable, taking place throughout a lifetime. Without calling into question the founding elements acquired by the individual during primary socialization (early childhood), this conception opens up the spectrum of identity transformation” (Berger, Luckmann, 2012 [1966]).

 

However charged they may be, incorporation processes for health-related dispositions may also be kept at a distance or put on hold, and undergo phases of latency and diversions, reconversions and cut-offs, over the course of a person’s life journey. The analyses submitted should therefore leave room for the individual as the bearer of a history of their own, as this history may in turn have an impact, in one way or another, on the social conditions of SHI production. This applies whether it be targeted at the individual in question, at people in their care, or at anyone to whom they offer support and company in the kind of difficult, painful or even dramatic circumstances that the pandemic is currently generating. The incorporation of a system of potentially numerous and varied dispositions that determine exposure to SHIs in various ways originates in each individual’s biographical trajectory – trajectories that are composed of an intertwined, and possibly contradictory, sum of simultaneous and successive itineraries, rooted in the main socialization environments and bodies (especially the family, school and academic environments, the professional sphere and peer groups).

 

Beyond powerful mechanisms of socialization and behaviour prescriptions – and in order to understand how a varied assortment of behaviours and initiatives proposes to deal with, maybe do without, and perhaps fight against SHI construction – this will be a matter of rendering and analysing a rich and complex interplay of differentiated appropriations and tinkered arrangements, incremental touches and full redesigns, random combinations and successful adaptations, haphazard compositions and bold reconfigurations, negotiated accommodations and timid workarounds, implicit diversions and overt avoidance, muted resistance and latent protest, or even direct rejection, firm refusal and frank opposition.

 

The SHI (re)production system has to tolerate, on its margins, distinctive forms of on-site contributions to the general process. Thus, behind the back of the dominant path that ensures the construction of asymmetries in health, the forms, modalities, and plural and heterogeneous expressions of socialization as a work in process become visible as they tentatively come into play. Being imperfectly mastered, the socializing orchestration inevitably lets slip some almost inaudible and unutterable off-tune notes, as well as resounding blunders which herald the end of the quasi-mechanical model of SHI production. For if there is indeed a construction process underway, it should also be conceived of as involving a craft. This entails a definition combining two complementary aspects: expertise, artistic ambition, mastery and meticulous work on the one hand and, on the other, a rudimentary, imperfect and eminently personal quality.

 

In other words, approximations are plentiful and deviations from the norm are diverse. Original and singular ways of “doing public health” (Fassin, 2008) thus appear to be unevenly successful attempts at gradual emancipation from the general process of producing health. While they allow for incremental forms of awareness of the dominations endured to be brought to light and for varyingly aggressive strategies to be put in place in order to turn the tables of stigmatization, they also remain dependant on dispositions and on the availability and concrete usability of capital, resources and support in the face of the powerful material, social and symbolic constraints imposed by inequality-generating social mechanisms.

 

Numerous experimental initiatives in social and political mobilization (Laverack, Manoncourt, 2016), aimed at social change, are now developing throughout the world to curtail the production of SHIs. Studies of those initiatives are welcome. They operate at local, national, supranational and international levels, advocate for a form of emancipation, claim to promote individual or global, environmental or community health (Jourdan, O’Neill, Dupéré, Stirling, 2012), define themselves as an alternative to private practice of medicine, and strive to involve the most vulnerable people in gaining and defending access to their rights and expanding their autonomy. The practices of social participation (Fauquette, 2016; Génolini, Basson, Pons, Frasse, Verbiguié, 2017; Basson, Génolini, 2021, forthcoming) and mediation in health (Haschar-Noé, Basson, 2019) that they implement should be further analysed.

 

Social participation in health is a lever for learning, socializing and activating a broad array of practices, which could be assessed on the international classification scale developed by Arnstein (1969), to define their gradation in terms of power(s). In the field of health, our search is for conclusive traces and tangible signs of the slow, gradual and graduated effects of the formation of a collective consciousness capable of understanding global issues and going beyond individual interests. This, in turn, brings to light specific indicators of the scope and significance of the construction of a democracy open to those most in need in the realm of health – not only in civic and civil terms, but also in a political sense.

 

Likewise, as outcomes of a “contractual process of building or repairing social ties” (Faget, 2015), mediation practices are based on a third party stance in which “going towards” the public, institutions and social and health professionals meets “working with” them according to individual and collective mobilization logics. Yet some civil society stakeholders show no intention of keeping mediators confined to their consensual role as local interfaces tasked with informing, guiding and supporting vulnerable people and raising awareness regarding obstacles they encounter among health system stakeholders. Using tried, tested, and renewed methods of popular education, they aim, more fundamentally, to facilitate access to rights, prevention and care for those who are dealt the worst hands, and to bolster their autonomy and capacity to act in the field health. As they refrain from imposing on the people they assist, the requirements implicit in the injunction to act responsibly, mediators can also work to counteract the general dysfunctioning in the health system. Some professionals and activists uphold their firm opposition to the idea that health mediation should be neutral, and decisively side with the people they care for in order to counterbalance the power relationship in place between them and the institutions. As they build relationships with users and patients that are meant to be egalitarian, they engage in a contractual process of mutual trust between peers and thus emerge as having “domination savvy” (Demailly, 2014) and passing on their experience.

 

Focusing on health experimentation aimed at social change and social participation and mediation – all of which are major empirical fields – we propose to lay the groundwork for a framework in which to observe, analyse, interpret and objectify the rampant growth of SHIs in order to better understand and mitigate it. More generally, the papers submitted can come from all social sciences, can be multi-disciplinary, and must deal with one or more of the three main themes defined here: (i) identifying what meaning lies behind social health inequalities; (ii) investigating the process of social construction of health inequalities; and (iii) shedding light on alternative forms of political production of health in order to lay bare SHI production. In all cases, submissions shall necessarily be based on in-depth field studies, supported by appropriate theoretical references and served by original methods.

 

 

Bibliographical references

 

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before Monday 29 March 2021

 

Sur la genèse de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore)

Par Philippe Warin

Porter le regard sur une expérience professionnelle au moment où elle s’achève, tel est l’objectif de ce témoignage sur les circonstances de la création de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore). Il ne s’agit pas pour moi de livrer ici une sociohistoire du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action, simplement de présenter la genèse de cet outil pour la recherche.

 

Cette histoire n’est pas connue car elle renvoie aux circonstances « discrètes » qui ont conduit à la construction de cet observatoire universitaire, lequel a pris part à l’émergence de la question du non-recours en France et un peu au-delà[1]. Dans mon souvenir, quatre de ces circonstances ont compté : une mise en garde, un désaccord, puis un constat suivi d’un coup de chance.

 

Une mise en garde

 

Le début de l’histoire remonte à ma participation au séminaire de recherche sur « La relation de service dans le secteur public » organisé de mars 1989 à janvier 1991 par l’ancien Plan Urbain et la RATP. Les sept séances du séminaire mettaient en discussion les travaux engagés alors à la RATP, EDF, la police, la SNCF ou à la Poste pour contribuer à la réflexion sur la modernisation des services publics par une meilleure connaissance des relations ordinaires entre agents et usagers. Assister aux échanges qui réunissaient des acteurs et des chercheurs français et étrangers tombait à pic. Préparant une thèse sur la place des usagers dans l’évaluation des politiques, je pouvais me nourrir de débats scientifiques sur les apports comparés des approches interactionnistes et ethno-méthodologiques.

 

Des chercheurs confirmés, comme Dominique Monjardet, connu pour son analyse de l’intérieur du travail des policiers et des rouages de l’institution, nous éclairaient. Il apparaissait que les approches compréhensives au plus près des acteurs permettaient de questionner directement les organisations et les politiques. Ces discussions méthodologiques à intervalles réguliers m’ont aidé à faire des choix. En considérant les relations de service comme un espace de négociation des règles dans la mise en œuvre des politiques publiques, il devenait possible de justifier l’étude de ces relations comme espace d’expression d’une citoyenneté (Warin, 1993).

 

Le souvenir de ce séminaire c’est aussi la mise en garde que j’ai reçue en aparté de son animateur scientifique principal, Isaac Joseph. J’avais été invité lors de la première séance du séminaire à participer à la table ronde qui suivait les propos institutionnels et scientifiques introductifs. Le débat réunissait autour d’Isaac Joseph, des représentants de la direction de La Poste, des universitaires, mais aussi Pierre Strobel, alors chef de la Mission Recherche au ministère des Affaires sociales et de la Santé, et André Bruston, Secrétaire permanent du Plan Urbain. On m’avait demandé de présenter ma recherche doctorale en cours, fondée sur l’étude de relations de service. J’avais accepté sans trop me demander où je mettais les pieds. Le fait que le terrain soit des organismes HLM intéressait le Plan Urbain. A joué probablement aussi le fait que j’étais alors accueilli et financé comme doctorant par le laboratoire CEOPS (Conception de méthodes d’évaluation pour les organisations et les politiques publiques) récemment installé par le ministère de l’Équipement et du Logement et par celui de la Recherche au sein de l’École nationale des travaux publics de l’État.

 

La table ronde avait pour objectif d’entendre des points de vue diversement situés (avec le souci, devenu une antienne, d’écouter aussi « la jeune recherche »). Il s’agissait de réagir aux propos introductifs d’Isaac Joseph sur l’intérêt de recourir aux approches interactionnistes pour comprendre au mieux le travail des agents prestataires. La modernisation des administrations et des services publics – l’un des grands chantiers de Michel Rocard alors Premier ministre – se voulait ascendante et participative. Suite aux premières interventions, Pierre Strobel (« artisan d’une recherche éclairée sur elle-même et sur ce qui est attendu d’elle pour contribuer au progrès social » – Commaille, 2007, p. 5) indiqua que le séminaire devait concilier une approche des tensions de la relation de service et une réflexion sur les principes du secteur public et leur logique. Il appelait à nourrir les questionnements de la science administrative, sinon de la sociologie de l’État, par l’approche compréhensive des relations de service. Certainement soucieux de ne pas subordonner la sociologie naissante (en France) des relations de service à d’autres questionnements, Isaac Joseph répondit en expliquant que l’ambition de la microsociologie, au cœur de ce séminaire, était ni plus ni moins d’analyser le savoir-faire de l’interaction dont dispose un agent prestataire. C’était la feuille de route qu’il fixait en tant qu’animateur scientifique, professeur de sociologie et fin connaisseur de l’œuvre d’Erving Goffman (Céfaï, Saturno, 2007).Isaac Joseph délimitait ainsi les attentes du séminaire pour assurer l’espace nécessaire au développement d’un nouveau champ de recherche.

 

La parole me fut ensuite donnée. Mes propos n’étaient pas vraiment en osmose : « […] Il n’est pas si sûr que nous soyons autant d’accord sur l’objet ‘relation de service’ que l’on nous propose à partir d’une problématique de l’énonciation inspirée de Goffman. […] J’ai peur que ne soient évacués trop vite les conflits et notamment les conflits de représentations. À partir d’autres méthodes on pourrait analyser les relations entre agents et usagers comme autant de lieux de négociation entre systèmes d’intérêts. […]. Ce serait tout l’intérêt d’une approche de la relation de service pour une analyse des politiques publiques par le bas, ‘par les usagers’ »[2]. En relisant les actes de cette séance, il n’y a pas de doute sur ce qui avait motivé la colère froide d’Isaac Joseph. Il ne souhaitait pas que la sociologie des relations de service participe à la recomposition alors en cours de l’analyse des politiques publiques (Muller, Leca, Majone, Thoenig, Duran, 1996). Au moment de la pause, il me le fit comprendre vertement.

 

Au lieu de me laisser abattu, cet épisode au contraire renforça ma conviction que les relations de service ne sont pas qu’une question de savoirs pratiques – qui plus est des seuls agents prestataires –, mais qu’elles sont aussi un rapport social engageant des représentations. Celles-ci amènent agents et usagers à s’affronter et surtout à se confronter aux procédures administratives voire au contenu des politiques. Cet épisode constitue la première étape dans le cheminement vers la question du non-recours et la construction de l’Observatoire.

 

Un désaccord

 

Mon programme de recherche présenté en 1992 au concours du CNRS fut sans tarder mis en œuvre. Il proposait de développer une sociologie politique des interactions avec les usagers considérés davantage comme des citoyens que comme des consommateurs. Le triptyque usager/citoyen/consommateur était largement discuté à l’époque (Chauvière, Godbout, 1992). Pour éviter de stationner dans la valorisation de la thèse, un renouvellement des terrains de recherche était souhaitable. J’entrepris de courtes recherches sur l’instruction des demandes isolées de permis de construire et les conflits avec des usagers de la route ou des riverains de petits aménagements urbains. Ce choix était calculé. J’y voyais l’opportunité de répondre à des appels à projets plutôt faciles. Les recours contre les services de l’État comme les contestations de projets d’infrastructures étaient alors des sujets importants de préoccupation pour le ministère de l’Équipement et pour le Conseil général des ponts et chaussées. Encore affilié au CEOPS, je devais en effet répondre à des appels à projets pour contribuer aux activités du laboratoire et m’inscrire au mieux dans les attentes du ministère de tutelle. Il ne fallait donc pas non plus rater la nouvelle phase qui se présentait, celle du premier programme de recherche en sciences sociales du Conseil général des ponts et chaussées lancé en 1990 sur « L’administration de l’Équipement et ses usagers ». En répondant à l’un des appels à projets annuels, je pus contribuer à partir de ces terrains de recherche à la réflexion très active à l’époque sur la production de l’assentiment dans l’action publique.

 

Alors que le programme était en cours, son responsable me proposa, par l’intermédiaire du directeur de CEOPS, de participer à son pilotage. Ayant accepté d’assumer le secrétariat, entre 1993 et 1995 je me rendis régulièrement au Conseil général des ponts et chaussées pour travailler avec l’inspecteur général Claude Quin lequel, entre autres fonctions, avait présidé le conseil d’administration de la RATP de 1981 à 1986. Je le retrouvai à chaque fois avec deux de ses amis chercheurs : Monique et Raymond Fichelet l’accompagnaient en effet dans la direction du programme. Les séances de travail étaient sérieuses, à l’image du lieu. Le programme mené à bon port produisit son ouvrage (Quin, 1995).

 

L’expérience avait été enrichissante, mais pour moi quelque chose clochait. Pour Claude Quin et le couple Fichelet, la cible était les usagers qui donnaient de la voix, pas ceux qui se taisaient. L’idée que le silence ne vaut pas approbation était hors-jeu. Ce programme, comme celui du Plan Urbain auparavant, passait sous silence « le silence de ceux qui sont trop désespérés pour exprimer ne serait-ce que des sentiments d’indignation, trop impuissants pour formuler leurs propres intérêts, fût-ce à eux-mêmes. »[3]. Je m’étonnais de ce choix, sachant l’ancrage à gauche de chacun d’eux (tous les trois étaient proches du Parti communiste, Claude Quin avait même été conseiller municipal PCF de Paris de 1977 à 1981). En tant que chercheur surtout, j’étais en désaccord. Pourquoi ne pas saisir ensemble les trois concepts particulièrement utiles pour l’analyse des services publics proposés par l’économiste Albert O. Hirschman (alors traduit en France et discuté aujourd’hui encore – Ferraton, Frobert, 2017) : la parole, mais aussi le loyalisme et la défection ?[4] Considérant que ce n’est pas parce que l’on se veut plus démocrate (plus de concertation, de participation, de délibération, d’évaluation, etc.) que l’on désire réellement plus de démocratie si l’on ne tient pas compte de ceux qui se taisent ou même qui se retirent, une autre certitude me tenaillait : l’analyse sociopolitique du rapport des citoyens aux administrations et services publics devait aussi s’intéresser à ces figures des « non-usagers ». Une nouvelle recherche de terrain allait déboucher sur le besoin de construire un dispositif de recherche dédié à la question du non-recours.

 

Un constat

 

Un travail sur « Les performances de justice. Exigences d’usagers et réponses des administrations » avait été rendu en décembre 1999 à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). A partir de plusieurs matériaux d’enquêtes menées auprès de services territorialisés de l’État et de délégués départementaux du Médiateur de la République, j’avais repris la question des relations de service pour montrer que la compréhension des rapports des usagers à l’offre publique ne se limite pas, loin s’en faut, aux savoir-faire de l’interaction. J’expliquais que des représentations et des valeurs entrent en ligne de compte et pèsent sur les résultats, en particulier lorsque agents et usagers se débrouillent avec les règles pour agir ou bien pour être traités en équité.

 

La conduite de cette recherche bénéficia d’échanges réguliers avec Isabelle Orgogozo, la responsable du Comité des études et de la prospective de la DGAFP. À chaque visite, j’étais conforté dans l’idée que l’étude des rapports des usagers à l’offre publique permet une analyse critique de l’action administrative, voire des politiques publiques.

 

Dans l’ouvrage qui suivit cette recherche, la question du non-recours fut explicitement introduite (Warin, 2002). J’expliquais que les usagers qui se taisent n’échappent pas aux agents de terrain. Ceux-ci essaient d’agir autant qu’ils le peuvent pour répondre aux demandes et éviter in fine le retrait des usagers. L’ouvrage s’appuyait aussi sur diverses lectures signalant que des usagers de l’école, de l’hôpital et d’autres services publics ne demandent plus rien[5]. Plus que jamais il me semblait que l’étude de la contestation ne pouvait pas prendre le pas sur l’analyse de la défection. Toutefois, les personnes à étudier ne sont pas seulement celles qui se taisent, mais aussi celles qui ne se présentent pas ou plus. Les comportements de repli me paraissaient donc tout autant préoccupants, sinon plus, que les comportements de contestation. Ils constituaient une porte d’entrée principale pour analyser le rapport critique des citoyens à l’offre publique, comme pour comprendre les difficultés des agents prestataires. Découvrant de surcroît une publication de la Caisse nationale des allocations familiales présentant le phénomène encore largement méconnu du non-recours[6], j’allais en faire explicitement l’objet d’une nouvelle recherche.

 

Isabelle Orgogozo m’avait prévenu de la préparation d’un nouveau programme, « Réformer l’État, nouveaux enjeux, nouveaux défis ». Je me souviens lui avoir dit que, quitte à parler de défis, ce pouvait être le moment – à mon humble avis – de se préoccuper du phénomène du non-recours. J’ajoutai de façon certainement un peu excessive que tous les programmes de recherche concernant les relations avec les usagers entretenaient l’illusion de (faire) croire que les destinataires sont nécessairement présents car captifs des administrations et des services publics. Un projet de recherche fut par conséquent déposé en mai 2000 en réponse à l’appel à projets de la DGAFP.

 

Son descriptif expliquait la raison d’une recherche sur le non-recours : « Un des paris majeurs de la réforme de l’État est de réaffirmer le rôle et la place des services publics dans la lutte contre l’exclusion. […] Cela étant, les retours d’expérience indiquent les limites de ces efforts, ce que confirment par ailleurs quelques travaux de recherche. […] En même temps, un autre phénomène tout aussi préoccupant tend peu à peu à être distingué, c’est celui du non-recours. […] Ce phénomène concerne des personnes qui ne s’adressent pas ou plus aux services publics pour satisfaire leurs demandes et qui, de ce fait, ne perçoivent pas tout ou partie des prestations, des services ou des droits auxquels elles peuvent prétendre. En un mot, il s’agit là du problème des “ non-usagers ” ».

 

Le projet accepté, une recherche collective aborda quatre domaines : Police-Justice, Éducation, Santé, Lutte contre la pauvreté. Les enquêtes permirent de produire le rapport « Le non-recours aux services de l’État. Mesure et analyse d’un phénomène méconnu ». Avant de le finaliser, Isabelle Orgogozo m’invita à venir présenter les premiers résultats au Directeur général de l’administration et de la fonction publique, Gilbert Santel. C’était au printemps 2001, peu de temps avant qu’il ne quitte ses fonctions.

 

Je ne me souviens plus de toute la discussion, mais très bien d’une chose. J’ai pris soin de dire à Gilbert Santel que tous les acteurs que nous avions rencontrés dans les différentes administrations nous avaient parlé du non-recours comme d’un problème pour eux, mais qu’aucun n’avait été en mesure de nous apporter le moindre élément de mesure. Et d’ajouter que pour relever les défis de l’administration de demain, il serait peut-être prioritaire de mesurer et documenter le phénomène du non-recours dont la présente recherche pressentait l’ampleur des dégâts. Je venais d’exprimer lors de cette entrevue le constat qui donnera lieu au projet d’observatoire du non-recours.

 

Un coup de chance

 

Le fait que la question du non-recours préoccupe les acteurs des politiques mais qu’ils la méconnaissent fut suffisant pour décider d’en faire l’objet d’étude principal de la suite de mon programme de recherche pour le CNRS. Dans cet objectif, un changement de braquet s’imposait. Il fallait construire un dispositif ad hoc pour documenter le phénomène dans la durée. Réaliser des enquêtes auprès d’acteurs n’était plus suffisant, élaborer et mener des enquêtes avec des acteurs s’imposait. Si ceux-ci étaient partants, ils ne pourraient qu’être intéressés par une recherche les associant. Le principe de l’accord n’aurait rien de particulier, je demanderais simplement aux acteurs de m’aider à construire des données dont ils auraient l’usufruit, selon les modalités d’une recherche collaborative qui garantit à chaque partenaire le meilleur retour sur investissement. L’idée générale d’un observatoire du non-recours venait d’apparaître, les conditions pour qu’elle germe apparurent rapidement. Ce fut un coup de chance.

 

La recherche sur le non-recours tout juste rendue à la DGAFP, je saisis l’occasion d’un appel à projets lancé par un tout jeune acteur, France Qualité Publique (FQP). Créé avec le statut d’association en septembre 2001, FQP se présentait comme un réseau partenarial de promotion de bonnes pratiques, d’évaluation des services rendus, de débats et de propositions sur la qualité des services publics rassemblant des associations d’usagers, d’élus, d’agents et des organismes publics. Par cet appel à projets, FQP entendait se faire connaître en incitant à la création sur les territoires d’observatoires de la qualité des services publics. Aussi, ai-je préparé une réponse à partir de l’idée qu’il ne peut y avoir de qualité publique sans action contre le non-recours aux administrations et services publics[7]. Le projet de création d’un « Observatoire départemental du non-recours aux services publics dans le département de l’Isère »[8] sera lauréat 2002 de France Qualité Publique.

 

Une séance officielle dans les locaux de l’ancienne DATAR se déroula le 26 juin 2002 en présence de Jean-Paul Delevoye qui venait d’entrer au gouvernement le mois précédent comme ministre de la Fonction publique, et d’Henri Plagnol, secrétaire d’État à la Réforme de l’État. Le président de FQP, Jean Kaspar, m’invita à présenter en quelques mots le projet d’observatoire du non-recours. De chaleureuses poignées de mains et un beau certificat complétèrent mon bonheur du jour. L’animateur de FQP m’avait prévenu : il n’y a pas de financements, mais il y a des réseaux.

 

Recevoir un label ne faisait cependant pas « nos affaires ». Il fallait aussi des ressources financières. Catherine Chauveaud était directement concernée. En reconversion professionnelle, elle correspondait au type d’associé que je recherchais pour fonder ce projet, qui nécessitait des liens étroits avec des acteurs locaux. Sociologue de formation, elle apportait vingt ans de travail de terrain en proximité avec des élus, des services et des populations, la richesse de son expérience professionnelle dans une importante association d’aide aux travailleurs migrants et à leurs familles. Le CNRS me rémunérait, mais il fallait des financements pour mon associée.

 

Les moyens arriveront d’abord de la Ville de Grenoble, comme l’annonçait l’annexe du projet présenté à FQP. Grâce à des contacts avec l’adjointe chargée de la Santé publique, de l’Hygiène, de la Salubrité et de la Prévention des nuisances, la Ville s’engageait comme partenaire dans le projet d’observatoire. L’élue nous demandait en échange d’étudier les données sociales et médicales du service de médecine scolaire. Une proposition viendra également de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour travailler sur la constitution d’indicateurs de suivi des abandons de demandes. M’étant occupé du volet « Lutte contre les exclusions » de la recherche sur le non-recours pour la DGAFP, j’avais eu des entretiens avec les directions et services des CAF de Grenoble et de Vienne. Particulièrement intéressé, le sous-directeur aux études m’avait encouragé à rencontrer Julien Damon, qui dirigeait alors le Département de la recherche, de la prospective et de l’évaluation de la CNAF. Dès notre première rencontre début 2002, Julien Damon manifesta son intérêt pour la question du non-recours (lui-même la rencontrait à l’époque dans ses travaux sur le sans-abrisme) et l’idée d’un observatoire. Parallèlement, les contacts établis avec les services de l’État en Isère à l’occasion de la recherche pour la DGAFP sur « Les performances de justice », et en particulier les relations avec le Préfet Alain de Rondepierre (en poste dans le département jusqu’en mai 2003), nous ont permis d’obtenir le soutien financer du « Fonds de réforme de l’État territorial ».

 

Les premières études furent lancées toutes de front. Le projet présenté à France Qualité Publique était programmé pour une durée de 30 mois, il ne fallait pas traîner en route. Dans son courrier du 3 juin 2002 annonçant l’attribution du Label FQP, Jean Kaspar avait conditionné son maintien « bien sûr à l’avancement du projet et en particulier au bon fonctionnement de l’indispensable comité de pilotage, afin que l’Odenore trouve l’assise et les financements nécessaires »[9]. Le 17 mars 2003, une réunion des partenaires se tint à Grenoble pour mettre en place le comité de pilotage. Elle fut introduite et conduite par le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Alpes du CNRS qui avait accepté d’accueillir l’Odenore au titre des « projets émergents ». L’Observatoire était mis sur les rails. Les quelques mois du projet se prolongent aujourd’hui encore.

_______

 

À partir de souvenirs personnels, ce court récit présente les circonstances qui ont conduit à créer l’Observatoire des non-recours aux droits et services. En si peu de lignes, il ne pouvait être question de tenter une histoire scientifique de l’émergence et du développement du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action.

 

En revanche, ce témoignage permet de lever le voile sur les circonstances qui ont conduit à créer cet observatoire universitaire. Il apporte ainsi une modeste contribution à une sociohistoire de l’émergence de la catégorie de non-recours que d’aucuns voudraient poursuivre[10]. Outre ce possible intérêt, il veut montrer – d’une façon qui paraîtra peut-être anecdotique (Renard, 2011) – que le métier de sociologue consiste aussi à produire les outils nécessaires à la construction de l’objet d’étude. Au-delà des modalités d’intervention (recherche-action, étude, évaluation, conseil, etc.), les outils sont les dispositifs de travail qui, en devenant pérennes, servent de tuteurs à la recherche qu’ils rendent possible. Pour cette raison, ils sont au cœur de l’expérience professionnelle.

 

En se limitant aux circonstances qui ont conduit à la création d’un dispositif de recherche, ce récit indique que la construction de l’outil dépend d’attitudes et de stratégies, sinon de simples tactiques, qui peuvent agir tôt dans une carrière de chercheur, même en amont d’un éventuel recrutement. Cependant, les circonstances que l’on saisit et force parfois sont actives parce qu’on les oriente dans le sens qui paraît nécessaire pour produire la recherche que l’on souhaite. Avec le recul, je dirai donc que le métier c’est aussi et probablement avant tout savoir trouver ce sens et le conserver dans la durée. Dans ce cas, la curiosité et la réaction (on pourrait parler d’indignation) propres à chacun sont certainement essentielles.

 

Ce sont peut-être les marques de « l’artisan chercheur », que certains disent sur le déclin (Monin, 2017). L’évolution rapide des techniques d’investigation et du traitement des données, la spécialisation très pointue et la co-écriture internationale, etc., pourraient en effet amoindrir sinon dissoudre « l’intériorité » propre au travail de recherche, qui peut être saisie par la manière dont la curiosité et la réaction, comme d’autres expériences internes privées (Bouveresse, 1976), entrent dans les jeux de langage publics qui sont aussi ceux de la recherche. En tout cas, la curiosité comme la réaction sont les ressorts de la recherche comme engagement (Neveu, 2003). Elles doivent cependant être contenues pour que le monde de la connaissance et celui de l’action (politique) ne se confondent pas.

 

Une sociohistoire du non-recours pourra ainsi montrer comment l’Odenore a contribué à construire distinctement une catégorie d’analyse et une catégorie d’action. Elle aura alors à vérifier comment la césure a été assumée (et les expériences privées contrôlées) pour des raisons déontologiques (éviter le prophétisme : ne pas parler du non-recours comme problème inquiétant, mais comme phénomène constaté – Warin, 2020) ou épistémiques (éviter la simplification des énoncés : assumer devant la demande d’explications simples et efficaces, les dimensions complexes et critiques du phénomène – Warin, 2014).

 

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Erik Neveu, « Recherche et engagement : actualité d’une discussion », Questions de communication, 2003, 3, 109-120.

Claude Quin, L’administration de l’Equipement et ses usagers, Paris, La Documentation française, 1995.

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Philippe Warin, Le non-recours aux politiques sociales, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2016.

Philippe Warin, Petite introduction à la question du non-recours, Montrouge, ESF Editeur, 2020.

 

 

[1] C’est ce qu’indique par exemple, le rapport de conjoncture 2014 de la section « Politique, pouvoir, organisation » du comité national du CNRS, mais aussi des rapports et documents officiels (par exemple: Lucie Gonzalez et Emmanuelle Nauze-Fichet, 2020, « Le non-recours aux prestations sociales – Mise en perspective et données disponibles », Les Dossiers de la DREES, n°57, DREES, juin. 

[2]  Actes du séminaire (1989-1991) « La relation de service dans le secteur public », tome 1, pp. 19-21.

[3] La formule est de Nina Eliasoph (2010, p. 277), dont je découvrirai plus tard l’ouvrage issu d’une thèse parue aux États-Unis en 1998.

[4] Le modèle d’analyse d’Albert Hirschman sera mis à contribution dans l’explication de la dimension politique du non-recours par non-demande intentionnelle (Warin, 2016).

[5] L’ouvrage cite notamment : Adolphe Steg, L’urgence à l’hôpital, Rapport du Conseil économique et social, Journal officiel de la République française, 1989 ; Jean-Louis Derouet (dir.), L’école dans plusieurs mondes, Bruxelles, De Boeck, 1989 ; Yves Dutercq, Politiques éducatives et évaluation. Querelles de territoires, Paris, Presses Universitaires de France, 2000 ; …

[6] Recherches et Prévisions, « Accès aux droits. Non-recours aux prestations. Complexité », 1996, n° 43.

[7] Archives Odenore : Carton 1 – France Qualité Publique 2002.

[8] L’acronyme Odenore fut décidé à ce moment-là. L’intitulé actuel, « Observatoire des non-recours aux droits et services », sera utilisé pour la première fois dans le rapport d’activité remis le 1er novembre 2005 à France Qualité Publique. Archives Odenore : Carton 9 – Dossier FQP.

[9] Archives Odenore : Carton 9 – Dossier FQP.

[10] Clément Le Reste, « Du non-accès au non-recours : sociohistoire française d’une catégorie d’action publique (1970-2016) », thèse en préparation, Sciences-Po Lyon.